Vincent Price, un voyage cinématographique à travers le vingtième siècle
par Nicolas Victorien
Copyright 2021 Nicolas Victorien Edition révisée Août 2021
Publié sur Smashwords
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Avant-Propos
I Une jeunesse américaine
II Débuts sur les planches
III Premiers pas à Hollywood
IV Les années quarante et la guerre
V Mary Grant
VI Les années cinquante sous le signe du succès
VII Le virage vers le fantastique
VIII La vie à Beverly Glen
IX L’essor de la TV et la réponse d’AIP
X Sears, l’art et Victoria
XI Les années soixante à plein régime
XII La retraite ?
XIII L’automne en pente douce
XIV Les adieux
Bibliographie
Avant-Propos
J’ai découvert le comédien Vincent Price lors de l’une de mes premières visites au festival du film fantastique Fantastic’arts de Gérardmer. Une séance hommage au réalisateur Roger Corman nous avait permis de voir exceptionnellement sur grand écran Pit and the Pendulum, sorti au cinéma en 1961. J’y ai trouvé le personnage de Nicholas Medina joué par Price tellement charismatique qu’il me semblait reconnaître un visage familier sans savoir où je l'avais déjà croisé. Je me suis donc mis à m’intéresser, puis à dévorer la filmographie de ce Monsieur Price, dont peu à peu j’ai découvert l’impressionnante carrière, la riche vie et les multiples facettes. Même s’il reste (trop !) peu connu en , sinon des fans de cinéma de genre, j’ai pu découvrir un acteur majeur de l’âge d’or d’Hollywood dont la plupart des Américains connaissent le visage et la voix, grâce en particulier à ses innombrables ages à la télévision. Malgré cela, la plupart d’entre nous n’ont malheureusement jamais eu l’occasion de le voir sur petit ou grand écran, si ce n’est à de rares événements spéciaux ou festivals ! Le film de Vincent Price qui est encore le plus présent sur nos étagères à DVD (pour ceux qui en ont encore !) figure l’une de ses dernières apparitions, dans Edward aux mains d’argent avec Johnny Depp, où il joue le petit rôle de l’inventeur d’Edward au début du film. C’est aussi sa voix inquiétante et son rire sépulcral que l’on retrouve dans le morceau Thriller de Michael Jackson, même si cette collaboration n’a pas laissé un bon souvenir au comédien ! La reconnaissance de ces deux grands artistes américains du travail de Vincent Price illustre le fait qu’aux USA il est une légende du cinéma, avec un charme, un physique et une voix caractéristiques. Il a traversé le paysage cinématographique américain du vingtième siècle comme une figure de proue du cinéma fantastique au même titre que Christopher Lee, Boris Karloff ou Peter Cushing. À cette riche carrière il faut ajouter ses premiers films ainsi que ses rôles hors fantastique (plus des deux tiers de ses films, et pas les moins bons !), qu’il fût un grand amateur d’art, sa première et plus chère ion, ou encore un cuisinier hors pair. Ses livres d’art et de cuisine ont été réédités à plusieurs reprises aux États-Unis et atteignent parfois des prix exorbitants ! Toutes ces petites pépites découvertes au cours de mes recherches de dilettante m’ont donné envie de donner un aperçu de la vie de ce grand monsieur, car s’il existe
quelques sources précieuses d’informations sur la vie de Vincent Price, en particulier la biographie écrite par sa fille Victoria, rien n’est aisément accessible pour le public francophone. Ce personnage majeur du cinéma américain du vingtième siècle gagne à être connu, à la fois pour son travail mais aussi pour son parcours de vie, qui a été riche en évènements (Vincent Price a eu notamment trois épouses, très différentes, au cours de sa vie !). Je vous propose donc de découvrir ici le chemin de cet homme simple à travers le vingtième siècle dans les allées parfois tortueuses de la vie américaine qui l’ont menées de 1911 à 1992 de Saint-Louis, Missouri, aux lumières de Hollywood.
I Une jeunesse américaine
Contrairement à ce que l’on pourrait penser après un coup d’œil sur sa filmographie, Vincent Price n’est pas né dans un château en Transylvanie ou dans un laboratoire secret au sous-sol d’une demeure victorienne. Il voit le jour le 27 mai 1911 dans une tranquille famille bourgeoise de Saint-Louis, dans le Missouri, à cinq cents kilomètres au Sud de Chicago. La ville est alors la quatrième plus grande des Etats-Unis, compte plus d’un demi-million d’habitants et possède un taux de croissance démographique impressionnant, ce qui a bien changé car elle abrite aujourd’hui moins de la moitié de la population de l’époque ! Extrêmement dynamique, Saint-Louis vient alors d’accueillir en 1904 l’exposition universelle ainsi que les troisièmes Jeux Olympiques modernes. Avant de s’établir dans le Missouri, les racines de la famille Price se perdent dans l’histoire de l’immigration vers l’Amérique et la légende familiale voudrait qu’elle descende du côté paternel de Peregrine White, premier enfant venu au monde alors que les pèlerins du Mayflower foulaient la terre ferme en 1620. Parmi les autres personnages remarquables de la famille, on peut s’arrêter sur le grand-père paternel Vincent Clarence Price, un gallois d’origine modeste ionné de chimie et originaire de Troy dans l’état de New-York, qui devint médecin et inventa la première poudre à lever tartrique. Grâce à son invention, il fit fortune à la fin du dix-neuvième siècle mais perdit tout lors du krach boursier de 1893 qui dévasta l’économie américaine. Son fils Vincent Leonard Senior, le père de Vincent, est né dans l’Illinois où l’usine de poudre à lever de son père avait été construite. Après avoir dû quitter l’université de Yale suite à cette fameuse crise économique et être devenu un industriel respecté, il finit par s’installer à Saint-Louis. Sa femme et lui y rejoignent leurs associés de la National Candy Company et Vincent Senior devient l’un des magnats américains de la confiserie, ce qui propulse les Price à une place de choix dans la bonne société de la ville. Cela vaut aussi au tout jeune Vincent Leonard Junior Price le titre de Candy Kid lors de sa première visite à l’usine de son père ! Vincent est le quatrième enfant de la famille, petit dernier de la fratrie après Harriet « Hat » née en 1897, Mortimer « Mort » en 1899, et Laralouise « Lollie » en 1904. Vincent Junior, « Bink » de son petit surnom, est dès sa naissance le chouchou de la famille, arrivé un peu par surprise alors que sa mère Marguerite a trente-sept ans
et son père, Vincent Senior, quarante. Marguerite adore la maison que la famille à fait construire dans un excellent quartier. C’est elle qui a dirigé sa construction et son aménagement et qui la décore de toutes sortes d’objets, qu’ils aient été transmis au fil des génération ou rapportés de voyages. La famille Price fréquente l’élite traditionnelle de Saint-Louis, mais elle est tout de même plus moderne et chaleureuse que la plupart à l’époque. Les deux parents sont très proches de leurs enfants et Vincent Senior, s’il souhaite que ses enfants réussissent, n’est pas obsédé par les traditions et la fortune de la famille, malgré le fantôme de la banqueroute de son grand-père qui hante la légende familiale. Marguerite et Vincent Senior élèvent leurs enfants en souhaitant que la famille reste soudée et de bonne réputation, mais encouragent chacun dans sa voie comme ils soutiennent aussi de jeunes artistes locaux, parfois au détriment de leur réputation dans les cercles bourgeois de la ville. Le jeune Vincent s’épanouit pleinement dans ce cadre idéal, adoré par ses grands frères et sœurs, une mère aux petits soins et un père sans trop d’exigences. La maison Price est aussi peuplée de toutes sortes d’animaux, et Vincent intègre très tôt l’amour des bêtes, en particulier celui des chiens avec Happy, la femelle bull terrier de la maison qu’il côtoie pendant toute son enfance. Vincent restera toute sa vie entouré de compagnons à poils et à plumes, et leur consacrera même un livre, The Book of Joe, dédié à son partenaire canin durant quatorze ans. Du côté de l’éducation artistique, si ses frères et sœurs jouent tous de la musique et sa mère est une pianiste amatrice, Vincent n’est quant à lui pas doué et délaisse assez rapidement cette voie. En revanche, il commence très tôt à feuilleter les livres d’art de la maison et visite régulièrement le musée de Saint-Louis. L’institution, vestige au style clinquant de l’exposition universelle, donne à Vincent des souvenirs mémorables d’œuvres reproduites dans toute leur grandiloquence. Outre les Venus et autres satyres qui intriguent et amusent toujours les adolescents, une représentation de la Nuit de la Saint Barthélemy où une femme boit une coupe de sang pour sauver son père lui fait à chaque visite une forte impression, tout comme aux autres enfants de la ville à l’époque. Petit à petit, Vincent se prend alors d’une idée fixe : un jour il ira en Europe pour découvrir l’art en vrai, et en particulier les sculpteurs classiques grecs. Il dévore en attendant tous les livres qui lui ent sous la main, scrutant notamment sans relâche les illustrations minuscules de l’exemplaire familial d’Apollo, l’exhaustif « manuel illustré de l’histoire de l’art à travers les âges » ! Après plus de deux ans à tondre des pelouses et économiser chaque sou, il parvient à acheter à l’âge de douze ans sa première œuvre, qu’il chérit comme un trésor. Il s’agit d’un croquis de Rembrandt, intitulé Deux nus académiques, un debout, qu’il achète à crédit pour trente-sept dollars cinquante. C’est la première pièce de son cahier de jeunesse
qu’il intitule sobrement La Collection Privée de Vincent L. Price Jr. 1926 ! La ville de Saint-Louis bouillonne d’activité industrielle au début du vingtième siècle et son développement économique entraîne l’ouverture de nouvelles écoles où les enfants des classes aisées peuvent recevoir une éducation de bon niveau qui participe à la formation d’une élite cultivée. Vincent fréquente la toute nouvelle Community School, dont la construction a été en partie financée par sa famille, afin de suivre un cursus plus moderne que celui proposé à l’école publique. Pendant sept ans, il grandit dans le cadre protégé de l’établissement et y découvre le théâtre, avec déjà des premiers rôles dans des mises en scène de Robin des Bois ou du Joueur de flûte de Hamelin. Il côtoie dans cette école le futur écrivain William S. Burroughs avec qui il continuera à correspondre par la suite, ainsi que son amour de jeunesse, Barbara O’Neil. Les deux entretiendront une romance en pointillés pendant les vingt années suivantes, et Barbara restera toujours une confidente de Vincent. Elle fera d’ailleurs elle aussi carrière à Hollywood même si son seul grand rôle fut celui de la mère de Scarlett O’Hara dans Autant en Emporte le Vent. L’éducation libérale dispensée à la Community School plaît beaucoup à Vincent, mais il est vite frustré par le manque d’intérêt des professeurs pour les arts visuels et la peinture et ne peut qu’espérer que cela s’améliorera dans son prochain établissement. Nous sommes alors en 1927, et Vincent ret la toute nouvelle Saint-Louis County Day School, qui a recruté nombre de professeurs afin de préparer au mieux les enfants des grandes familles de Saint-Louis à l’entrée dans les universités de l’Ivy League. Cette école est une sorte de classe préparatoire, évidemment réservée aux garçons à l’époque, et Vincent n’y trouve pas plus son compte en matière de jeunes filles que de culture artistique et de raffinement : les seules images sur les murs sont les photos des classes et des équipes sportives ! Il est là pour préparer les concours des prestigieuses écoles de la côte Est, et c’est bien tout ce qu’on lui proposera. Après avoir redoublé la première année, le jeune homme met les bouchées doubles et réussit à terminer son parcours sans encombre. Il peut compter sur le soutien de son frère ainé Mortimer qui a réussi à entrer à Yale et le motive, ainsi que de son père, qui regrette toujours d’avoir dû quitter la célèbre institution dans sa jeunesse. Sans cesse à la recherche d’aventures pour pallier à la monotonie des cours, Vincent parvient lors d’un séjour avec sa classe dans le Colorado à s’échapper de la visite guidée et e sa journée à cre sur un site ancien, découvrant avec des camarades une tombe et des poteries indiennes de la civilisation Mesa Verde. Cela ne sera pas lui ca quelques remontrances de ses accompagnateurs, mais cela lui assure
aussi une petite popularité au sein de l’école, et les jours suivants le reste des élèves est enrôlé pour finir de mettre au jour cette découverte qui sera officiellement répertoriée pour l’Histoire. Cette aventure marque le début de la plongée de Vincent dans les arts et la culture indienne américaine, et convainc définitivement ses parents du sérieux que prend sa vocation pour les arts. Le cadre de son école ne se prête pas vraiment à plus de développement des arts visuels, et Vincent va donc prendre son mal en patience, se focalisant plus sur sa pratique du chant et du théâtre durant ces années. Il est devenu rapidement le plus grand de sa classe, certainement en partie à cause de sa consommation des produits familiaux, bonbons et petits plats cuisinés par sa mère, et si sa grande taille le handicape un peu au football et en athlétisme où il se casse plusieurs fois le nez, elle lui donne une stature capable d’endosser les rôles de personnages altiers avec une grande aisance naturelle. Très sociable, Vincent se frotte au beau monde de la ville dans les bals et soirées mondaines typiques de l’époque, mais il sait aussi s’encanailler avec ses amis aux « shows burlesques » qui fleurissent à la fin des années vingt. Il parvient toutefois à étancher un peu sa curiosité lors des nombreux voyages de la famille Price, qui visite régulièrement Chicago, New York, et e ses vacances dans la maison de campagne familiale en Ontario, au Canada. C’est donc tout naturellement qu’à seize ans, Vincent commence à planifier son voyage en Europe, poussé par une soif pour l’art qui ne peut plus se satisfaire seulement à travers les livres. Grâce au soutien de sa grand-mère Harriet Cobb Oliver, une femme riche et influente dans la famille, qui s’est remariée à la mort de son mari et a fait le tour du monde, Vincent finit par convaincre ses parents de soutenir eux aussi sa folle entreprise. Une fois l’argent économisé —notamment un petit pécule venant de la vente de la maison au Canada— il part à la fin de sa première année en juillet 1928 pour le « séjour n°22 : sept capitales d’Europe » dont le circuit culturel qu’il a méticuleusement épluché lui parait le plus intéressant et le plus complet. Après une traversée en bateau terriblement ennuyeuse pour un adolescent accompagné de voyageurs âgés, Vincent débarque à Londres et tombe immédiatement amoureux de cette ville, qui restera son port d’attache en Europe. Il découvre alors « Le » musée à ses yeux, le British Museum. Évidemment cette première visite e beaucoup trop vite mais Vincent, qui n’ira pas en Grèce lors de ce voyage, se régale au moins des nombreux marbres sculptés du musée. La deuxième capitale du voyage est Paris, une autre ville dont le jeune américain a beaucoup rêvé. Il n’accroche pas du tout avec la culture française à cette époque, même s’il savoure ses moments au Louvres. Le bus emmène ensuite les voyageurs à Reims, où Vincent est marqué
par la vision de la cathédrale en ruines et de sa reconstruction, et après un crochet par Bruxelles, le groupe prend la direction d’Amsterdam. Price ire les peintures du Rijksmuseum et en particulier des œuvres de Rembrandt, premier artiste de sa collection débutante. Le périple e ensuite par Cologne et Nuremberg, où Vincent peut savourer les œuvres et visiter la maison de l’un de ses artistes favoris, Dürer. C’est ensuite la Suisse puis Vienne, où le tableau de Suzanne et les Anciens de Tintoretto lui fait une grande impression. Il retrouve avec plaisir d’autres œuvres de l’artiste à Venise, même si la réalité de cette ville et la frugalité des conditions de voyage— repas très médiocres, hôtels encore davantage— ternissent l’image de Venise la romantique qu’il s’était faite. L’Italie fait tout de même amende honorable à Florence, où l’amateur de sculptures est aux anges devant le dôme, la Galerie des Offices et la vierge d’Andrea del Sarto dont il racontera qu’elle fut la première œuvre à lui tirer des larmes de joie. À la surprise de Vincent, c’est Rome qui sera le point d’orgue du voyage. L’ambiance de la ville lui plait beaucoup et la chapelle Sixtine et l’œuvre de Michelangelo le marquent de façon indélébile. Le circuit touristique touche alors à sa fin, et e encore par Pompéi, Naples, pour finir par la dernière capitale du dépliant… Monaco ! Vincent se perd ensuite avec sa petite amie du moment quelques jours entre Nice et Paris, où il se régale des folles nuits parisiennes, puis il rentre aux USA en bateau. Avant de pouvoir rentrer en deuxième année, il e deux semaines de cours intensifs et valide le cours de géométrie qui lui manquait encore ! Sa deuxième année se e ensuite sans encombre, car Vincent à présent plus mature commence à prendre les cours au sérieux et à moins faire le pitre. Il veut vraiment réussir à entrer dans une grande école, pour y er quatre ans supplémentaires à s’instruire dans les meilleures conditions. Après une année d’efforts, et tandis que Vincent e son été dans l’Ontario chez des amis de la famille, il reçoit un télégramme de son père qui lui annonce enfin la bonne nouvelle : il est accepté à Yale, et « sans piston », d’après Vincent Price Senior ! Vincent suit donc les traces de son père et de son frère Mortimer en intégrant la prestigieuse université, non sans efforts ni cours intensifs de rattrapage. Il est un peu déçu au premier abord en arrivant sur place car il avait imaginé un campus grandiose, un haut lieu de raffinement et de culture, et finalement il ne trouve sur le campus de New Haven qu’un patchwork de styles architecturaux qui font pâle figure à ses yeux accoutumés à la grandeur des capitales européennes. Les collections d’art sont cependant très riches et intéressantes, en grande partie
grâce au fondateur de l’université Elihu Yale qui était un collectionneur incroyable de bijoux, d’instruments de musique et de tableaux (plus de neuf mille !). Cela n’empêche pas Vincent de ne jamais croiser personne dans les couloirs qui abritent ces petits trésors. Il s’intègre toutefois parfaitement bien à sa classe, même s’il y retrouve assez peu d’élèves originaires du Middle West comme lui et beaucoup d’héritiers de la côte est, qui vont être durement frappés par la crise en 1929. Beaucoup de familles sont ruinées et de nombreux élèves doivent abandonner l’université. L’industrie de bonbons de Vincent Price Senior reste heureusement à flot et permet à Vincent d’échapper à la Grande Dépression, contrairement à ses aïeux qui avaient tout perdu lors de la crise précédente ! Lors de ses visites à New York toute proche avec ses amis, le jeune Vincent est plutôt séduit par la vie de bohème que vivent bon gré mal gré les étudiants de l’époque, entre restaurants à dix sous et cinémas bon marché. Il se lie avec ses camarades de classe Herman Liebert, George Kubler et Ted Thomas et il choisit de suivre le cursus d’histoire de l’art, contrairement à son père et son frère qui avait étudié les sciences au collège Sheffield de Yale. Vincent ne veut pas se gâcher la vie pour les imiter et son père accepte ce choix sans protester, trop fier déjà que deux de ses fils aient ret la prestigieuse institution. À la fin de cette première année, Vincent e l’été avec ses parents et en profite pour subir une opération du nez, qu’il s’est cassé pour la troisième fois… Pour la rentrée de l’automne 1932, Vincent retourne à Yale où il partage un appartement avec son ami Ted Thomas, et les deux amis mènent de front vie étudiante et vie nocturne. Vincent continue de son côté à s’intéresser au théâtre et étudie Shakespeare. Il commence alors à réaliser qu’il adore arpenter la scène, où il s’épanouit pleinement. Tandis qu’il envisage de s’y mettre sérieusement, voire à plein temps, sa ion de collectionneur d’œuvres d’art grandit elle aussi, et le boom de l’industrie cinématographique lui permet de voir toutes les nouveautés d’Hollywood qui vont inspirer ses premières réalisations de films amateurs. Enfin, il t sa voix à la chorale du « Glee Club » de Yale, qui fort opportunément pour le fûté Vincent (!) est sur le point de partir en tournée en Europe au printemps. À la fin du séjour, il fait un détour supplémentaire pour s’attarder à Paris tandis que le reste de la troupe rentre aux USA. Il visite ensuite Venise et Vienne, où il dérouille son allemand, avec pour tout bagage son sac à dos, dormant souvent dans des conditions précaires. Le jeune américain découvre le climat politique des années trente et le fascisme qui le fascine alors plus qu’il ne le rebute. En touriste tout de même plutôt indifférent à cette agitation politique, il sort et visite tant qu’il peut, parvient même à acheter quelques lithographies de Daumier, et e par la Côte d’Azur pour entamer son
retour vers les États-Unis. Revenu à Yale pour poursuivre son année, Ted Thomas lui annonce qu’il ne veut plus partager son logement, car il veut pouvoir étudier plus et sortir moins. Vincent ret donc une colocation et de nouvelles têtes : Pee Wee Lee, Alistair Cooke et Lisa, un teckel offert par la famille Lee. Comme c’était prévisible, Ted Thomas vient er la plupart de son temps fourré chez eux ! Après une reprise des cours un peu difficile, Vincent s’accroche à celui d’histoire de l’art qui est celui qui l’intéresse le plus. Il suit aussi les leçons du professeur de théâtre Carl Young, qui l’encadre dans son travail sur Shakespeare et sera son premier mentor. Le Connecticut est alors plein d’artistes chassés de New York par la Grande Dépression, et leur fréquentation pousse toujours davantage Vincent vers le monde des arts. Il e du temps à New York dès qu’il peut et se lie à plusieurs vendeurs d’art auprès desquels il est toujours prêt à faire crédit quand il tombe sur une œuvre irrésistible. Grâce aux développements techniques de l’imprimerie, l’époque voit aussi exploser le marché des gravures et des impressions d’art, et les connaissances de Vincent en font un expert toujours prêt à aider ses camarades étudiants. Il les conseille et fait de nombreuses bonnes affaires, tout en apprenant et en profitant de toutes ces œuvres. Il tente, toujours sans succès, de lui-même peindre et sculpter mais il se console au cinéma, et il dévore tous les films sortis durant ses années à l’université. Il obtient son diplôme en juin 1933.
II Débuts sur les planches
Âgé maintenant de vingt-deux ans, Price prend soudainement conscience qu’il n’a pas l’ombre d’un projet professionnel, il sait seulement que son amour des arts visuels et de la comédie seront les piliers de sa vie professionnelle. Durant l’été, il travaille dans comme professeur assistant dans une école de vacances et il s’applique à introduire les bases de la connaissance de l’art dans les cours dispensés par les autres enseignants. Il souhaite tester ses capacités à devenir, pourquoi pas, enseignant, car il aime partager son savoir et l’idée d’éduquer le plus grand nombre à la culture et à l’art. Vincent participe également aux spectacles montés durant l’été, et tient notamment le rôle du capitaine dans H.M.S. Pinafore, un opéra-comique de Gilbert et Sullivan. Il profite aussi de la proximité de New York pour continuer à sortir et fréquenter les théâtres et salles de cinéma de la ville. À la fin de l’été, il prend une décision radicale : il a entendu parler d’une nouvelle école à Londres et veut s’y inscrire pour continuer à étudier plutôt que d’entrer directement dans la vie active. Il s’agit du Courtauld Institute of Art, qui vient d’ouvrir ses portes. Qui plus est, le chèque de mille cents dollars que son père vient de lui offrir pour son diplôme couvre parfaitement ces deux années d’études supplémentaires ! Vincent ne laisse pas er cette opportunité de repartir en Europe et d’avoir du temps et du recul pour décider quoi faire de sa vie, tout en poursuivant des études qui l’intéressent. Ses parents, bien que peu rassurés, se montrent finalement une fois de plus réceptifs aux arguments de leur petit dernier et acceptent de le laisser partir dans cette nouvelle aventure, non sans lui avoir fait comprendre qu’il porte toujours leur nom et devra lui aussi apporter sa pierre à l’œuvre de sa brillante lignée. En clair, pas question de les décevoir ou les cordons de la bourse seront tirés ! La réussite de Vincent leur donnera raison et montrera leur vision précoce de son potentiel original. Les débuts de Vincent au Courtauld Institute lui font une grande impression. Les professeurs et les collections y sont d’une qualité exceptionnelle, ce qui complique parfois les choses, notamment lorsque les élèves doivent se concentrer sur le cours dans un salon où sont suspendus des œuvres de Cézanne ou Modigliani, données à l’école par la famille Courtauld ! Vincent choisit de faire sa thèse de Master sur Albrecht Dürer et l’école du Danube, sous la direction de Campbell Dogson, plus grand spécialiste de l’artiste et curateur au
British Museum auprès duquel Vincent apprend beaucoup. Il prend conscience que son moteur est son insatiable curiosité, que ce soit dans l’art ou dans l’exploration de la capitale britannique. Contrairement aux États-Unis, l’art n’y est pas réservé à l’élite de la capitale mais est omniprésent, et il est possible d’assister à des tonnes de spectacles et d’expositions sans dépenser un sou. Le jeune étudiant e ses journées dans les musées et côtoie le soir des acteurs qui transcendent son Shakespeare adoré ou des collectionneurs aux pièces uniques. Il faut dire que le tumulte des années trente sur le continent a poussé un grand nombre d’intellectuels à venir s’installer à Londres. Pour son premier Noël loin de sa famille, Vincent part avec une amie dans une maison de famille à Graz, en Autriche. Il visite à nouveau Nuremberg et Vienne, l’une de ses villes favorites, où il peut étudier la collection Albertina des œuvres de Dürer, et où il constate la montée inexorable d’un fascisme qui le séduit toujours confusément. À son âge, il est peu conscient de la réalité de ces idéologies, isolé dans un cocon londonien qui se préoccupe plus d’esthétisme et d’argent que de ce qui gronde au cœur de l’Europe. L’année 1935 marque un nouveau tournant dans la vie de Vincent. Les cours du semestre qui débute l’intéressent moins et Vincent en profite pour courir davantage les théâtres londoniens. Son ami David Smith le pousse à auditionner pour Chicago, une pièce obscure montée dans le petit théâtre The Gate. Vincent y obtient deux petits rôles qui vont le mettre face à son désir de brûler les planches et à un vrai public de théâtre. La pièce a un petit succès, et dans ses lettres Vincent s’ouvre à sa mère de cette révélation en lui détaillant cette vie d’artiste qui l’enchante. Il se lie avec les comédiens de la pièce et auditionne naturellement pour d’autres pièces ainsi que pour différentes œuvres radiophoniques. Il veut vite confirmer que c’est bien dans cette voie qu’il a de réelles chances de réussir et mettre fin à ses derniers doutes. Il tranche finalement en faveur du théâtre plutôt que de l’institut Courtauld, et le vrai départ de sa carrière arrive peu après avec la pièce Victoria Regina, une œuvre scandaleuse pour l’époque car mettant en scène des membres de la famille royale de leur vivant, ce qui n’est pas autorisé par la loi. La pièce est donc produite hors du circuit des grands théâtres, au Gate, là où Chicago avait été montée. Sa haute stature et sa connaissance de l’allemand permettent à Vincent de décrocher l’un des rôles principaux, celui du prince consort Albert, et le succès de la pièce lance le jeune premier sur la scène londonienne. La performance de Vincent dans Victoria Regina est encensée par la critique même si le succès de la pièce est modeste. Les offres de rôles et auditions
commencent à arriver et le jeune homme se voit proposer des rôles dans les grandes compagnies, en particulier pour jouer les classiques de Shakespeare. Malheureusement il doit vite déchanter car les lois anglaises sur l’immigration ne lui permettent pas de travailler pour une compagnie avec son visa étudiant. Alors qu’il a donc désormais officiellement quitté l’institut Courtauld, il se retrouve désœuvré à l’été 1935, et se console auprès de son chat Albert « The Good », un demi-siamois qu’il a adopté pour se tenir compagnie. Ses parents viennent aussi lui rendre visite et l’aident à er le temps en attendant une réponse pour un nouveau projet où il espère se faire une place : l’adaptation de Victoria Regina à Broadway, New York City ! L’auteur de Victoria Regina Laurence Housman a en effet vendu ses droits sur la pièce pour une adaptation et il pousse fortement la production américaine à engager son protégé Vincent Price dans le rôle du prince consort. Le producteur américain souhaite de son côté utiliser cette pièce pour relancer l’actrice Helen Hayes à Broadway. Celle-ci accepte de partager la scène avec le jeune Vincent, et les contrats sont signés en septembre 1935. Price a encore le temps de jouer un second rôle dans la pièce Anatol au Gate, mais celle-ci est plutôt mal accueillie par la critique. Plusieurs articles de journaux parlent déjà de son retour d’enfant prodigue à New-York, ce qui ne l’empêche pas d’être coincé à Londres et complètement fauché. Il peut à peine se payer la traversée vers les États-Unis en troisième classe, portant son chat dans une caisse, et il manque le comité d’accueil journalistique convié par le metteur en scène qui l’attendait au quai de débarquement des classes supérieures ! Gonflé à bloc par son retour, Vincent se t aux répétitions dès le lendemain de son arrivée et fait connaissance avec l’équipe du théâtre et les autres comédiens dont Helen Hayes, qui le prend sous son aile et le guide dans son début de carrière. La pièce débute le 26 décembre 1935 à New-York, après quelques représentations à Baltimore et à Washington DC, la ville natale de Hayes. Les premières représentations sont de gros succès, et les critiques encensent à la fois Helen Hayes et le jeune premier Vincent Price. Au cours de l’année suivante, Hayes lui procure énormément de conseils sur le jeu et le travail de comédien, et elle lui présente de nombreuses personnalités importantes de l’époque comme la comédienne Beatrice Lillie ou le peintre Bernard Perlin, dans les soirées où Vincent joue les chaperons pour Mrs Hayes. Toujours très lucide, Vincent doute encore d’avoir un réel talent et espère ne pas être qu’une star d’un jour qui aurait seulement réussi un « coup » grâce à sa stature, sa connaissance de la pièce et sa relative maîtrise de l’allemand. Certains détracteurs soutiennent qu’on lui e ses défauts car c’est son premier rôle, tandis que d’autres voient dans l’indulgence de la critique un signe du déclin de
la production théâtrale américaine. Heureusement les témoignages de soutien affluent aussi de la part de sa famille ainsi que de ses amis américains ou londoniens et Vincent oublie la pression en fréquentant les magasins d’art et les galeries, incapable de foncer tête baissée dans la vie de comédien et d’oublier sa ion pour l’art. À la fin de la saison, Broadway ferme ses portes pour l’été, qui est difficilement able à l’époque car toujours très chaud et sans air conditionné ! Déjà courtisé par les sirènes d’Hollywood, Vincent s’y rend pour la première fois et il est introduit au gratin de la Côte Ouest par Joan Crawford, grande amie d’Helen Hayes. Le comédien revient pourtant la tête froide à New-York, toujours décidé à consacrer cette période calme à perfectionner son jeu d’acteur au théâtre et suivant ainsi les conseils de Hayes. Il prospecte du côté des petits théâtres de la côte de la Nouvelle-Angleterre, les summer stock theatres, qui profitent de la relâche de Broadway en été pour faire le plein de touristes et de jeunes acteurs en quête d’expérience. Vincent obtient des rôles dans la pièce Elizabeth the Queen, ou encore dans Parnell, une œuvre qu’il reprendra l’été suivant. Dans la distribution il retrouve Barbara O’Neil, avec laquelle il rallume une ancienne romance qui durera toute cette année, entre New York et Hollywood où O’Neil e une grande partie de son temps. On la recroisera d’ailleurs dans Tower of London en 1939 aux côtés de Vincent Price, Basil Rathbone et Boris Karloff. La saison de Victoria Regina reprend fin 1936 à Broadway, et Vincent retrouve avec plaisir son petit appartement de la treizième rue et son microcosme de jeunes artistes et comédiens ambitieux, dont il fréquentera toujours certains plus tard à Hollywood. Dans cette période de transition qui marque la fin du règne hégémonique du théâtre, Broadway devient véritablement un incubateur pour les futures stars du grand écran. Vincent refuse d’ailleurs alors du bout des lèvres un gros contrat de la Warner, conscient de laisser de côté une grosse opportunité de percer mais raisonnant à long terme sur les conseils d’Helen Hayes et voulant éviter une carrière éclair et éphémère. Signe encourageant, la pièce renouvelle son succès jusqu’à la fin de la saison à l’été 1937. Pendant l’été, Vincent joue dans Le Canard Sauvage d’Ibsen au Lakewood Theatre de Skowhegan, l’un des plus renommés des summer stocks, et reprend son rôle dans Parnell où il rencontre pour la première fois la comédienne Edith Barrett. Les deux jeunes gens (même si Barrett lui cache au départ qu’elle a dix ans de plus que lui) sont inséparables, et Vincent oublie un peu Barbara O’Neil avec qui il lui semble que rien n’est possible à long terme. Au cours de cet été bien rempli, il joue aussi dans Turandot, d’après l’opéra de Puccini, monté au Westport Playhouse avec
Anna May Wong, l’une des premières stars asiatiques du théâtre américain. Il reçoit de très bonnes critiques pour sa prestation. Hyperactif, il sera aussi de Romance au même théâtre, et joue dans Eden’s End et The Lady of La Paz au Lakewood Theatre. Pendant cette période, il commence aussi à réfléchir et à travailler pour sa rentrée à Broadway où il jouera le rôle de Jean dans la pièce The Lady has a Heart. La pièce est réputée difficile et Vincent s’y expose dans le premier rôle masculin. La première a lieu le 25 septembre 1937 et ce sera la première claque de la carrière de l’acteur. La presse descend la pièce et tout ce qui avait enchanté la critique dans son jeu dans Victoria Regina lui est reproché ici : son port altier devient un air hautain, son jeu serré un jeu froid, etc. Fondées ou pas, ces critiques mettent un sérieux coup au moral du jeune comédien, qui n’a pas encore vaincu tous ses doutes. Malgré un succès grandissant auprès de ses fans de sexe féminin, Vincent est au plus bas en décembre. La pièce s’arrête, sa relation avec Barbara O’Neil est dans l’ime, et suite à l’achat impulsif d’un bouledogue anglais pour se consoler, son chat Albert prend la fuite. Vincent reçoit même un message anonyme qui lui annonce que son chat a trouvé un nouveau foyer, sans chien pour l’embêter, mais que son nouveau maître lui rendrait Albert à la condition que Vincent se débarrasse de Johnny le chien ! Pour la période des fêtes, Vincent part se retirer à Saint-Louis pour chercher du réconfort auprès de sa famille. Il revient seul à New-York au début de 1938, ayant laissé Johnny le bouledogue « à la campagne » près de Saint-Louis. Il est un brin découragé mais toujours porté par sa ion des arts en général et surtout sa vocation de comédien toujours intacte.
III Premiers pas à Hollywood
À partir de 1936, la communauté des artistes de la Côte Est commence à réellement s’inquiéter du tourment politique qui secoue l’Europe. Vincent maintenant un peu plus mature y devient particulièrement sensible, bien davantage que la plupart de ses proches. Il se plaint de leur ivité, peut être justement parce qu’il connaît le pouvoir de séduction des idées radicales nationalistes et les a observées de près en Autriche. Il s’éloigne alors définitivement de l’héritage conservateur de sa famille, et comme un grand nombre d’artistes se découvre une affinité pour le libéralisme américain et les influences socialistes qui circulent à l’époque. Le comédien déclare volontiers son iration pour Roosevelt— il sera d’ailleurs atterré par sa mort en 1945— et participe à plusieurs événements de soutien au peuple espagnol où il joue notamment les commissaires-priseurs lors de ventes de charité. Il cultive sa ion pour la peinture et l’art autant que ses finances le permettent, et conseille ses amis avec une rare habileté dans ce domaine. Sur un coup de tête, il acquiert notamment le grand tableau Zapata, une œuvre que son auteur le peintre Orozco lui vend pour une bouchée de pain. Surpris que la galerie accepte son offre minimale, Vincent parvient à peine à faire rentrer l’énorme tableau de deux mètres sur un dans son petit studio. Après quelques semaines de réflexion, il prête finalement le tableau au Musée d’art moderne, et le vendra au plus tard au Chicago Art Institute où il ira redre ses dessins de Toulouse-Lautrec. Au début de 1938, Vincent Price ret la troupe Mercury, dirigée par le déjà célèbre Orson Welles. Son expérience à Broadway lui permet de prétendre à un salaire de comédien principal, mais cela ne console toujours pas Vincent de l’échec de The Lady Has A Heart, pièce pour laquelle il avait refusé non seulement un gros contrat avec la Warner, mais aussi la tournée de Victoria Regina qui est en train de triompher dans tous les États-Unis. Les autres comédiens de la troupe le voient d’abord arriver avec méfiance, mais il se fait vite accepter par son bon caractère et sa motivation à faire progresser son jeu d’acteur, qui n’est qu’exacerbée par sa dernière déconvenue. Il faut dire aussi que les comédiens de la Mercury ont d’autres soucis, maltraités qu’ils sont par le maître Welles qui dirige les pièces et joue les premiers rôles en tyran. Vincent est émerveillé par cette troupe qui vit dans un bouillonnement énergique et intellectuel permanent, même s’il sent que la tension qui y règne finira par faire
voler en éclats cette compagnie bâtie autour d’un seul homme. Heureusement pour lui il quitte le navire avant que cela n’arrive. Il renoue en tout cas avec le succès grâce à la Mercury et est encensé pour son rôle dans le drame victorien le Jour de fête des cordonniers, pour lequel il retrouve sa chère Edith Barrett qui elle aussi a ret la troupe. 1938 est définitivement une année faste pour Vincent, puisque non seulement il reprend confiance en son talent d’acteur, mais trouve aussi le bonheur amoureux, mettant un terme définitif à sa relation bancale avec Barbara O’Neil pour épo Edith Barrett, de laquelle il s’est encore rapproché depuis l’été précédent. Après leur mariage le 23 avril 1938, leur lune de miel se résume à un week-end le long de la côte Est car à peine deux jours plus tard, les jeunes mariés de la Mercury doivent débuter les représentations d’une reprise de la pièce de Bernard Shaw Heartbreak House ! La pièce reçoit un accueil mitigé mais la performance de Vincent est sauvée du lot. Remotivé, Vincent a le regard tourné désormais vers Hollywood et le cinéma, où il estime qu’il sera plus rapide de se faire sa place sans avoir à attendre son heure dans l’ombre d’un plus grand. Dès le mois de juin, Vincent part avec Edith pour Los Angeles où il va tenter de décrocher un contrat avec MGM et Universal. Les deux compagnies sont à la recherche d’un nouvel acteur à mettre en avant et Vincent fait une bonne première impression. Il revoit à cette occasion Barbara O’Neil, et la rencontre se e plutôt bien avec la nouvelle femme de Vincent. Tandis qu’Eddie retourne ensuite en Nouvelle-Angleterre pour la saison des summer stocks, le comédien reste en Californie et va signer son premier contrat chez Universal, avec qui il s’engage à tourner deux films par an. Après plusieurs essais pour différentes productions qui ne verront pas le jour, le studio lui donne le premier rôle masculin dans Service de luxe, mis en scène par Rowland Lee. Les débuts au cinéma de la nouvelle star de Broadway, le beau gosse Vincent Price, sont très attendus depuis son arrivée fracassante sur la fameuse avenue à l’automne 1935. Universal choisit de le mettre en avant dans une comédie romantique moderne et légère, typique de l’époque, qui doit servir de tremplin à sa nouvelle star masculine. Service de luxe offre à Price la chance de démarrer aux côtés d’une comédienne déjà renommée, d’acteurs secondaires efficaces, même si l’intrigue reste une comédie romantique très basique. Vincent y joue le rôle de Robert Wade, fils prodigue d’une famille de province et inventeur d’un nouveau moteur de tracteur, débarquant à New-York pour vendre ses talents. Il y rencontre la très chic et hyperactive Helen Murphy (interprétée par Constance Bennett), qui dirige Dorothy Madison Service, une société « d’assistance personnelle » qui prend en charge tous les aspects de la vie de ses riches clients. La rencontre de
ces deux fortes têtes et leur romance tumultueuse forment le corps de l’intrigue du film. Si Service de luxe est le premier long-métrage de Vincent, il apparaît en réalité pour la toute première fois sur le grand écran dans le court métrage publicitaire The World Is Ours, que plusieurs grands studios ont fait réaliser pour la promotion du cinéma comme l’ultime divertissement. Ce court-métrage qui sort début 1938 sera diffusé avant toutes les séances de Service de luxe ! Vincent commence alors à goûter à la presse hollywoodienne, aux paillettes et aux histoires de tournage qui circulent sur lui et sa partenaire à l’écran Constance Bennett. À la fin de l’été, Mrs Price finit par le redre et ils peuvent enfin vivre ensemble, dans une maison de location à Beverly Hills tout près de Sunset Boulevard. Vincent apprend à connaître la vie en Californie en dehors d’Hollywood, et les parties de pêche qu’il adore compensent l’absence de culture et d’histoire qu’il goûtait à New York. Toujours apprécié en société, il fait progressivement connaissance du tout-Hollywood et débarque bientôt sur les écrans avec Service de luxe à la fin d’octobre 1938. Les critiques sont positives et le public apprécie le film, pourtant Vincent réalise que ce n’est ni un grand film, ni un grand rôle qui l’ont révélé au public des salles obscures, mais une romance un peu simplette. Il est un peu déçu par le film, qui n’exploite d’après lui le matériel narratif et les comédiens que de façon très superficielle. Après cette petite déception et un crochet par Saint-Louis où il présente Edith à sa famille, le couple rentrent à New York et le comédien est heureux de retrouver « son » Broadway. Il obtient un petit rôle dans la pièce Outward Bound qui signe le retour triomphal de la comédienne Laurette Taylor après dix ans d’absence. Dirigé par Otto Preminger, Vincent s’épanouit sur scène et il est comblé quand la troupe est invitée à dîner avec les Roosevelt à la Maison Blanche. Pour Edith les choses sont plus compliquées et si elle parvient à décrocher un rôle dans Les Hauts de Hurlevent, la pièce pâtit rapidement du succès de l’adaptation cinématographique de l’œuvre d’Emilie Brontë, tout juste sortie en juin 1939. Vincent quant à lui retourne à Hollywood pour poursuivre les tournages de son contrat avec Universal, qui le prête à Warner pour un drame victorien. Il s’agit d’un très petit rôle dans The Private Lives of Elisabeth and Essex, un film d’époque à gros budget qui sort en septembre 1939, et le premier en couleur pour Price. Le film raconte la rivalité entre la reine et le comte d’Essex, qui apparemment n’était pas grand-chose comparée à la haine que se vouent les deux acteurs principaux Bette Davis et Erroll Flynn. Il faut dire que Flynn est loin d’être le meilleur acteur du lot, et pourtant il est largement plus payé que les autres, en particulier Davis qui n’est pas connue pour tenir sa
langue dans sa poche. Vincent sympathise avec l’actrice de qui il restera proche toute sa vie, et même s’il n’apprend guère sur le jeu d’acteur dans cette version très revisitée à l’américaine, Vincent peut tout de même observer les deux stars en action. La première du film, qui remportera cinq Oscars, a lieu à Hollywood et non à Londres à cause de la guerre qui démarre. Price décide alors de suivre des cours de comédie en parallèle des tournages pour s’adapter au grand écran. Il prend conseil auprès de Laura Elliott qui l’aide à transposer son jeu, et en particulier ses mimiques, de la large scène du théâtre au plan serré 35 mm. Il analyse aussi en profondeur le jeu de plusieurs acteurs dont il s’attache à copier la technique. C’est notamment à cette époque qu’il se met à porter la moustache, sans doute inspiré par l’un de ses modèles, Ronald Colman. Celui-ci a vingt ans de plus que Price et a lui aussi écumé les planches, avant de faire carrière au cinéma et d’être notamment nominé pour un Oscar du meilleur acteur en 1930. Il fut connu pour son naturel à l’écran ainsi que, comme Vincent, pour sa voix douce et charmeuse, qui sont pour les deux acteurs un atout précieux lors du tournant vers le cinéma parlant. Vincent apparaît ensuite dans Tower of London qui sort en 1939. L’atmosphère du tournage est particulièrement détendue car il y retrouve ses amis Basil Rathbone et Boris Karloff, deux autres figures du cinéma fantastique avec qui il era de nombreux bons moments au cours de sa carrière. Rathbone joue le rôle du terrible Richard de Gloucester, qui élimine tous ses rivaux pour accéder au trône d’Angleterre et devenir le terrible Richard III. Price joue le rôle de son frère Clarence, qui finit noyé au fond d’un tonneau par le bourreau (joué par Karloff), à l’issue d’une mémorable scène où les deux frères jouent le royaume à un concours de boisson ! Après cette partie de plaisir, Vincent doit tourner Green Hell, une sorte de film d’aventure en Amérique du Sud, film raté voire grotesque réalisé par James Whale, et d’où heureusement Price s’efface rapidement sous les coups de sarbacane de mayas courroucés. Sa femme, jouée par Joan Bennet — la sœur de Constance Bennett avec qui Vincent a déjà travaillé— est alors libre de romancer avec le héros incarné par Douglas Fairbanks Jr. Franchement déçu, Vincent est toujours à la recherche de son premier rôle de qualité, mais il doit se plier à son contrat et accepter les films proposés par Universal ou les firmes auxquelles la compagnie le prête. Il en prend son parti avec son optimisme habituel et en attendant la fin de son engagement, il joue au théâtre, au Lobero Theatre de Santa Barbara par exemple dans The Mistress of the Inn de Goldoni. En octobre, Vincent ret la distribution de The Invisible Man Returns pour tourner cette suite du film de James Whale tiré de l’œuvre de H.G. Wells qui avait rendu célèbre l’acteur britannique Claude Rains en 1933 dans le
rôle-titre. Si le film est plutôt bon, Vincent a tout de même du mal à y briller, sinon par son absence à l’écran ! Point positif, ce film qui sort en janvier 1940 met en avant sa voix caractéristique qui devient la marque de fabrique du « personnage » Vincent Price. Enfin, le tournage du dernier film— et sans doute le meilleur— de son contrat Universal débute. The House of Seven Gables est adapté d’un roman du précurseur de la littérature fantastique Nathaniel Hawthorne. Vincent y incarne Clifford Pyncheon, fils d’une riche lignée sudiste peu reluisante de propriétaires et intrigants de la jeune nation américaine. Son aïeul a bâti la maison aux sept pignons sur un terrain extorqué à un pauvre homme qu’il a envoyé au gibet sous des prétextes fallacieux. Clifford souhaite briser cet héritage infâme, vendre la bâtisse et refaire sa vie comme comédien à New York. Face à lui son frère, tout à fait détestable et joué avec brio par George Sanders, ne va pas hésiter à faire acc Clifford du meurtre de leur père, qui en réalité s’est tué par accident après une énième dispute au sujet de la vente. Condamné à tort, le personnage de Vincent e alors vingt ans en prison, et sa promise cousine va au grand dam du frère scélérat hériter de la demeure, l’en chasser et y demeurer cloîtrée. Cette trame sombre, marquée par des morts violentes et irrésolues et dont les héros sortent finalement vainqueurs mais brisés, s’imbrique avec les intrigues d’un groupe abolitionniste qui veut faire er des esclaves au Nord. L’histoire mêle assez finement ces différentes allégories de la libération des valeurs du é, que ce soit la spoliation fondatrice, le patriarcat absolu ou l’esclavage. Vincent s’y impose comme grand comédien romantique et triomphe aux côtés de ses amis Boris Karloff et Bela Lugosi lors de la première du film, qui est couplée avec celle de leur film Black Friday, le 29 février 1940. Hollywood semble enfin prendre la mesure du talent de Vincent Price.
IV Les années quarante et la guerre
En décembre 1939, Edith apprend qu’elle est enceinte et les Price déménagent à côté de leurs meilleurs amis Janet et Adrian Gaynor sur Chevy Chase Drive à Beverly Hills. Ils se régalent de cette nouvelle vie, tous deux encore suffisamment peu connus pour trouver le temps de peindre et dessiner ! Vincent signe un nouveau contrat chez Century Fox, de sept ans cette fois, mais qui lui garantit une pause de six mois par an pour qu’il puisse jouer au théâtre à Broadway. Il démarre ce contrat avec Brigham Young dans le rôle du prédicateur mormon Joseph Smith et son interprétation lui vaudra une popularité durable en Utah, l’état fondateur de cette religion. La 20th Century Fox n’a pas alors immédiatement de film à proposer à Vincent, et il s’emploie donc du côté du théâtre. Il joue dans The American Way au théâtre municipal de Saint-Louis, ouvert le 4 juin 1940, où l’enfant prodigue fait un retour triomphal. Il e aussi au théâtre de summer stock de Skowhegan dans le Maine où il joue dans l’une de ses propres pièces : Poet’s Corner. Cette pièce largement autobiographique montre une fois de plus que Vincent prend plaisir à se frotter à tous les aspects de la création artistique. Au milieu des représentations, il est appelé à Los Angeles pour auditionner pour un rôle dans le film Hudson’s Bay. Déçu de ne pas décrocher le premier rôle, il sera pour autant l’un de rares comédiens de cette production à être encensé par la critique. Il joue aussi cet été-là un rôle secondaire dans la pièce Mr and Mrs North de Owen Davis au Lakewood Theatre, le « Broadway du Maine », avant la présentation de la pièce sur la vraie Broadway Avenue où elle aura, mais sans lui, un bon succès, et reprend aussi cet été-là son rôle dans Elisabeth the Queen, avec nettement plus d’assurance qu’à ses débuts. Le 30 août 1940, Edi donne naissance à Vincent Barrett Price. Le timing de cette naissance est si l’on peut dire parfait, puisque le nouveau papa a justement du temps à consacrer à sa famille. Vincent traverse une période creuse, qui le met sur les nerfs mais qu’il emploie à apprécier les plaisirs d’une vie « normale ». Après quelques ajustements et plusieurs changements d’agent, il remet le pied à l’étrier via le théâtre en rejoignant la pièce Mamba’s Daughters, partie de Broadway pour une tournée sur la côte ouest. La performance extraordinaire dans le rôle de l’héroïne Hagar d’Ethel Waters, l’une des rares comédiennes noires de l’époque, permet à la pièce de se jouer à guichets fermés de Los
Angeles à Seattle. Vincent est ravi de cette tournée, dans laquelle il incarne le rôle d’un intendant de plantation qui se prend d’amitié pour Hagar. Il profite au maximum de cette nouvelle occasion de côtoyer une grande actrice, et accessoirement de faire rentrer de l’argent pour sa famille. À l’affût de nouvelles opportunités, le couple a découvert dans un petit théâtre de Los Angeles la pièce Gaslight dont ils achètent les droits et qu’ils souhaitent monter à Broadway sous le titre Angel Street. Alors qu’ils sont sur le point de traverser les Etats Unis pour lancer le projet, Edi choisit finalement de rester à L.A. pour ne pas briser l’élan qui semble reprendre dans sa carrière cinématographique avec notamment Ladies in Retirement en 1941. Vincent se rend donc seul à New-York en novembre 1941. La première est un grand succès auprès du public et le comédien est extrêmement tendu dans l’attente des critiques de journaux. Cellesci sont particulièrement bonnes, mais elles ne suffisent tout de même pas à décrisper un Vincent Price marqué par le flop de The Lady has a Heart. De façon intéressante, Angel Street marque le début de la carrière de « méchant » de Vincent Price. Il joue dans cette pièce le rôle de Mannigham, un manipulateur qui use la santé mentale de sa femme dans le but de lui faire révéler la cache de ses diamants. Ce huis-clos est un tel succès qu’il reste encore l’un des mélodrames les plus joués à Broadway avec plus de mille deux cents représentations. La pièce est d’ailleurs par la suite adaptée plusieurs fois sur petit et grand écran et vaudra à Ingrid Bergman un Oscar de la meilleure actrice en 1944, sous son titre original Gaslight. Vincent parvient alors enfin à savourer un succès incontesté, qui plus est dans une pièce qu’il a lui-même choisie. Lui qui commençait à se lasser qu’on ne lui donne que des rôles de jeune premier est ravi de briller dans un registre plus sombre. S’il avait su alors combien ce stéréotype allait lui coller à la peau ! Seule ombre au tableau pour Angel Street, la collaboration est tendue avec Judith Evelyn sa partenaire sur scène, qui jouait déjà dans la version originale de la pièce que les Price avaient vue à Los Angeles. Il devra s’en accommoder jusqu’à l’hiver 1941, la pièce ayant exceptionnellement continué à être jouée durant la brûlante saison d’été ! À cette période Vincent démarre aussi sa prolifique carrière radiophonique, où il met en avant son accent et sa voix suave qui ont inspiré de nombreux sketchs télévisés, notamment dans l’émission Saturday Night Live où Bill Hader, fan depuis son enfance, l’a incarné à plusieurs reprises. Hader rédigera même une préface pour une réédition du livre de Vincent The Book of Joe. Au cours des années 1940, Price enregistre entre autres pour la radio des ages de la pièce Victoria Regina, et il s’implique de plus en plus dans ce nouveau moyen de diffusion. Il participe à la première retransmission radio autour du globe, de New
York à Dakar, Bombay, le Japon et retour à New York via Los Angeles. Beaucoup plus tard, Vincent aura même son émission sur la BBC, The Price of Fear, série de trente-deux épisodes où il narre des histoires fantastiques qui parfois le mettent en scène lui-même ! Pendant ce temps, la guerre bat son plein en Europe et Price, revenu de ses égarements de jeunesse, soutient l’effort de guerre dans des galas de charité ou des représentations d’Angel Street dans les bases militaires. Il continuera d’ailleurs à se produire dans ces bases même après la fin de la guerre. Après cette année 1941 triomphale au théâtre, Vincent veut profiter de son aura pour véritablement percer à Hollywood. Les films qui ont suivi le succès de Service de luxe ne l’ont guère satisfait, mais le système de monopole des majors l’oblige à se réengager pour un contrat exclusif avec l’une d’entre elles en espérant que cela lui permette de se lancer définitivement. Il traverse donc à nouveau les Etats-Unis pour signer avec la 20th Century Fox, en train cette fois, et se retrouve par hasard à partager son wagon avec nul autre que Charlie Chaplin ! Il tourne à Los Angeles un film qui reste parmi les plus connus de sa carrière, The Song of Bernadette, qui est tiré d’une biographie de Bernadette Soubirous par Franz Werfel. L’auteur avait séjourné en et était resté très impressionné par Lourdes, où il s’était réfugié lors de sa fuite du régime nazi. Il avait fait le serment de faire un film sur la sainte s’il réussissait à partir pour les États-Unis, et il tint donc sa promesse pour produire un film qui reste culte, et dont la musique a failli être composée par Stravinsky, à qui le contrat fut finalement retiré. Price y joue le rôle du procureur impérial Dutour et apporte au rôle la barbe et l’air machiavélique de son Mannigham d’Angel Street. Il incarne ce sceptique et athée représentant de la loi qui s’efforce avec les autres notables de ramener la paix dans le village après la vision de Bernadette Soubirous. À la fin du film, mourant des années plus tard d’un cancer de la gorge, Dutour se rend incognito à la grotte parmi les fidèles et s’agenouille pour prier pour son salut. Le film produit par la Fox et sorti début 1944 reçoit onze nominations pour les Academy Awards mais Vincent n’en fait pas partie. Il est cependant remarqué par Darryl F. Zanich, qui va l’aider à obtenir de meilleurs rôles. Peu après démarre le tournage de The Eve of Saint Mark où Vincent joue le rôle de Francis Marion, un soldat de la seconde guerre mondiale et poète désabusé à l’accent du sud. Le rôle restera l’un des meilleurs souvenirs de tournage de Vincent : c’est son premier personnage contemporain et qui plus est un poète qui déclame ses vers avec un accent de son Missouri natal. Tiré d’une pièce de Maxwell Anderson mais adapté pour le public américain et pétri d’un héroïsme un peu daté en cette fin de guerre, le film est néanmoins bien accueilli.
Les tournages s’enchaînent ensuite rapidement en 1944 avec Wilson, The Keys of the Kingdom, ainsi que l’un des films les plus connus de Price : Laura. Wilson retrace la vie de Woodrow Wilson, le vingt-huitième président des Etats-Unis. Cette grosse production plutôt bien ficelée est nominée pour dix Academy Awards et en remporte cinq, mais Vincent n’y fait qu’une brève apparition. The Keys of the Kingdom est adapté d’un roman fleuve d’Archibald Joseph Cronin qui relate la vie de Francis Chrisholm, un missionnaire écossais ionné et peu conventionnel incarné ici par Gregory Peck, qui fonde une mission en Chine contre vents et marées. Vincent y tient le rôle d’un évêque bedonnant, ce qui lui permet de profiter de la bonne chère et de reprendre du poids après avoir dû se priver pour incarner le soldat de The Eve of Saint Mark. Il tourne aussi pour la deuxième fois avec Edith Barrett dans ce film, où elle tient un petit rôle. Peu après, la marine américaine, la vraie cette fois, va presque gâcher ces moments agréables lorsqu’elle demande à Price de redre les forces militaires actives. La production de The Keys of the Kingdom doit alors faire des pieds et des mains et tourner le plus vite possible et à grands frais les scènes de Vincent, pour son plus grand ravissement : quelques mois auparavant, il était dans le creux de la vague et à présent on dépensait des dizaines de milliers de dollars pour boucler son film ! Un décor de village est détruit pour tourner une scène de Vincent qui se e dans les ruines, puis le village est reconstruit pour terminer le tournage. De même, les producteurs de Wilson doivent visionner les rushs en urgence pour s’assurer qu’ils ont les plans nécessaires avant le départ de l’acteur. Tout cela pour que finalement Vincent ne rejoigne pas l’armée ! D’après lui ce sera pour des raisons de santé, mais il est aussi possible que les studios aient intercédé en sa faveur, car les stars masculines commencent à se faire rare à Hollywood au milieu des années quarante. Vincent peut donc poursuivre ses tournages avec Laura, film noir devenu un classique du genre, et l’un des favoris de l’acteur. Tout commence par un faux départ, car après le visionnage de seulement quelques rushs décevants, la production décide de repartir à zéro et appelle Otto Preminger à la réalisation pour remplacer Rouben Mamoulian. Vincent joue le rôle du prétendant de la disparue Laura (Gene Tierney). Le comédien apprécie beaucoup ce tournage où il retrouve ses amis Clifton Webb et Judith Anderson, et malgré les critiques au départ assez mitigées, il considèrera Laura comme le meilleur film de sa carrière, en grande partie à cause de la présence de Tierney et Preminger, avec qui il avait déjà travaillé à Broadway. Clifton Webb sera pour sa part nominé pour l’Oscar du meilleur second rôle en 1944 et poursuivra une brillante carrière. Le thème musical de Laura connait lui aussi un vrai succès et reste un classique grâce à l’interprétation de Frank Sinatra. Le projet suivant aurait dû voir Vincent travailler avec Ernst Lubitsch
pour A Royal Scandal, pour lequel il retrouve son amie Tallulah Bankhead. Comme Lubitsch se remet tout juste d’une crise cardiaque, les producteurs lui adjoignent Otto Preminger, mais le mélange détonant de ces deux forts caractères va faire exploser le film en vol, notamment parce que Lubitsch souhaite remplacer Bankhead mais que Preminger s’y oppose. Le résultat est mauvais et les acteurs peinent à jouer correctement sous cette direction bicéphale. Vincent ne s’en tire pas trop mal car il n’apparaît qu’une vingtaine de minutes dans ce fiasco. Heureusement pour lui, le film suivant sera à nouveau un succès. Leave her to Heaven est un drame tiré d’un roman de Ben Ames Williams et il y retrouve la belle Gene Tierney, filmée pour la première fois en couleur. Le film sera le plus gros succès commercial de la Fox des années 1940. Vincent n’a qu’un rôle secondaire mais est remarqué par la presse, qui l’aurait bien vu nominé pour un Academy Award. Après sept films chez Fox—dont six succès — Vincent Price est maintenant un acteur respecté à Hollywood. Il essaye tant qu’il peut de ne pas se noyer dans la vie de la jet-set et ses frasques, adoptant un style très simple et un air décalé qu’il entretient par un talent naturel pour la nonchalance vestimentaire ! Cela n’empêche pas le couple Price de recevoir leurs nombreux amis dans la grande maison qu’ils viennent d’acheter sur Benedict Canyon. Ils investissent aussi dans un terrain en bord de mer où Vincent fera construire une petite maison qu’il souhaite habiter quand sa carrière sera derrière lui. En attendant, il e toujours son temps libre à s’intéresser à l’art, et déplore la pauvreté intellectuelle de la côte ouest. Avec le développement de l’industrie, cinématographique en particulier, Los Angeles devient cependant plus cosmopolite, et le nombre grandissant d’étudiants enrichit petit à petit la vie culturelle de la Cité des Anges. Price et son ami Macready se lancent alors dans le projet d’ouvrir une boutique d’art éphémère dans le quartier intellectuel. Si la boutique n’a pas de succès commercial, elle donne à Vincent l’opportunité de se faire connaître du monde de l’art californien, et de côtoyer des grands de l’époque, tels Stravinsky, Thomas Mann, Charles Laughton, Katherine Hepburn, Otto Preminger bien sûr, ou encore les Rachmaninov qui viendront visiter sa galerie. Vincent est particulièrement heureux d’exposer ses artistes favoris, comme Morris Graves et même Henri Miller, qu’il soutiendra dans ses périodes difficiles. L’aventure se termine pourtant assez vite, pour beaucoup à cause du manque de temps disponible de ses propriétaires pour faire vivre la galerie au quotidien, mais elle reste une expérience marquante pour Vincent et sa première incursion « professionnelle » dans le domaine de l’art et de sa dissémination. Du côté du cinéma, Price fait des pieds et des mains pour convaincre le réalisateur
Joseph Leo Mankiewicz qu’il peut être crédible dans le rôle du machiavélique Nicholas Van Rym, le personnage principal de Dragonwyck, dont le tournage va démarrer et dont le scénario est tiré du roman d’Anne Seton. Mankiewicz avait apprécié le travail de Vincent dans The Keys of the Kingdom et lui offre le rôle principal. Le comédien se glisse donc à nouveau dans la peau d’un personnage maléfique comme celui qui lui avait apporté le succès dans Angel Street, et retrouve Gene Tierney pour leur quatrième et dernier tournage ensemble. De son côté, Tierney débute pendant ce tournage une romance impossible avec JF Kennedy. Le futur président mettra fin à leur relation en lui avouant que jamais il ne pourra l’épo, elle divorcée et lui ne pouvant politiquement se permettre de se mettre à dos les groupes religieux. Ses échecs sentimentaux et de graves problèmes de santé vont malheureusement rapidement mettre un terme à la carrière de cette étoile des années quarante. Dragonwyck est un bon succès commercial et installe définitivement Vincent sur la liste des acteurs majeurs de la Fox, qui reconnait son talent à interpréter les méchants. Son prochain projet, Forever Amber, semble lui aussi s’annoncer sous de bons augures, mais le report du tournage empêche Vincent d’être disponible pour terminer le film et il est donc remplacé. L’acteur doit en effet être présent sur le plateau de Shock, un film de série B où il enfile à nouveau, et pas pour la dernière fois, sa tenue de psychopathe pour incarner cette fois un psychiatre. La série B, pour laquelle Vincent Price a tourné en majorité à partir des années cinquante, qualifie des films à plus petit budget que les grandes sorties hollywoodiennes. Ces longs métrages sont à l’origine proposés lors de doubles projections, où pour le prix d’une entrée le spectateur peut voir un film de série B suivi d’un blockbuster. On y trouve beaucoup de westerns dans les années 1930, mais par la suite le fantastique y prend une part prépondérante. Cette catégorie n’est pas sans prétention artistique, contrairement aux films dits de série Z, et beaucoup de comédiens et de réalisateurs y ont fait leurs classes en attendant de percer aux yeux des omnipotentes majors, les quatre ou cinq principaux studios hollywoodiens, et de tourner un film de série A. Shock, produit par Aubrey Schenk et sorti au tout début de 1946, en est un exemple parfait. Produit au départ par le département des séries B (d’où sa durée de soixante-dix minutes seulement), le succès du film le pousse jusqu’au rang de film de catégorie A. C’est le premier film en tête d’affiche de Price pour la 20th Century Fox. Il incarne Dick Cross, un psychiatre au mariage en faillite qui perd son sang-froid lors d’une dispute et tue sa femme, tandis qu’une jeune femme fragile est témoin du meurtre et tombe en état de choc. Elle est envoyée dans une clinique psychiatrique pour être soignée, mais malheureusement pour elle, il
s’agit de la clinique du Dr Cross ! Lui et sa maitresse (jouée par Lynn Bari) essaient de convaincre la malheureuse qu’elle a imaginé toute l’affaire dans son délire, mais n’y parvenant pas, ils décident de l’assassiner en lui injectant une dose létale d’insuline. Fort heureusement, le mari de la jeune femme et le procureur qui suspectait Cross depuis la première mort interviennent juste à temps. Certains éléments de l’histoire ne sont pas sans rappeler le rôle du psychologue Mannigham que Price incarne dans Angel Street, même si le personnage qu’il campe ici est plus fin de caractère et parvient parfois à attirer la sympathie, surtout au début du film où il est sincèrement bouleversé par la mort de sa femme. Avec ce genre de films, Vincent a l’impression de régresser, mais la demande pour les films de série B est très forte et les critiques de son jeu sont bonnes. Pour le film suivant, une romance assez peu intéressante, le comédien puise sa motivation dans sa rencontre avec Ethel Barrymore, une grande dame du théâtre qui arrive alors au cinéma. Leur collaboration fonctionne à merveille et Vincent apprend beaucoup aux côtés de la comédienne, une femme avenante et fan de baseball, qui, fidèle au théâtre, ne se regarda jamais sur grand écran ! Le dernier film de Price dans son contrat pour la Fox est Moss Rose. Là aussi il s’agit d’un film policier, mais cette fois, c’est Vincent l’inspecteur ! Dans un style british faussement naïf qui n’est pas sans faire penser au lieutenant Columbo, il finit par sauver la belle héroïne, incarnée par la nouvelle sensation d’Hollywood Peggy Cumins, qui tout comme Vincent aurait dû faire partie du casting de Forever Amber l’année précédente. Cette période voit arriver la fin de l’âge d’or (et surtout du monopole !) des grands studios qui sont forcés de « libérer » leurs acteurs de leurs contrats exclusifs qui étaient la règle jusqu’alors dans l’industrie cinématographique. Les majors ne pourront plus non plus forcer les salles de projection à acheter en lot leur production dans des contrats annuels. Heureusement pour Vincent, les succès qu’il a déjà engrangés l’empêche de trop souffrir du chaos engendré par ce changement de régime, même s’il doit aussi er par quelques projets moyens tels The Web, un film noir dans lequel il incarne un industriel sans scrupule qui intrigue pour se débarrasser de son ex-complice, tout juste sorti de prison pour escroquerie et plutôt remonté contre lui ! Dans ce film sorti en 1947 chez Universal International, Price finit tout de même par être piégé par un lieutenant de police particulièrement malin. Il joue aussi dans le très moyen The Long Night avec Henry Fonda, un remake du Jour se lève de Marcel Carné, ou encore dans Up in Central Park en 1947, où il joue le rôle du mari, un rôle écrit
au départ pour « un homme au physique râblé et corrompu », pas vraiment pour lui donc. Signe encourageant tout de même, c’est à cette période que se crée le premier fan-club de Vincent Price ! La première partie des années quarante voit donc la carrière cinématographique de Price assurée, mais sa vie personnelle entre pour un moment dans une période tumultueuse. Sa relation avec sa femme se dégrade sérieusement, pour des raisons multiples dont la frustration d’Edith de ne pas rencontrer le même succès que Vincent, elle qui est pourtant une vraie enfant de Broadway. Elle obtient quelques rôles, dans I walked with a zombie de Jacques Tourneur, Ladies in Retirement ou Jane Eyre, mais la qualité des films qu’on lui propose ne cesse de diminuer. Elle décide finalement de cesser de travailler, et malgré leurs efforts pour faire durer leur mariage, Vincent et Edith se séparent une première fois en 1944 et définitivement fin 1947, pour ce qui sera le pire Noël de Vincent. Séparé de sa femme et de son fils, il a aussi perdu sa mère un an auparavant, alors qu’il est le benjamin de la famille et était resté très proche d’elle. Il va de fait se rapprocher de son père, ou plutôt son père se rapproche de lui. Il quitte en effet définitivement Saint-Louis et vient s’installer à Tucson en Arizona, où il sera soigné pour son arthrite.
V Mary Grant
Pour se remonter le moral, Vincent se rend pour le réveillon de Nouvel An 1947 chez son amie Deanna Rubin. Il y est accompagné par Mary Grant, une costumière qu’il a rencontrée sur le tournage de Up in Central Park. Vincent et Mary s’étaient entre temps croisés à nouveau chez les Maitland, des amis communs collectionneurs d’art. Née au Pays de Galles, Mary Grant a beaucoup voyagé dans sa jeunesse pour suivre son père militaire. Sur la Côte Ouest, elle a d’abord tenté sa chance de devenir danseuse, pour ensuite se diriger vers le design. Elle fait finalement ses preuves en tant que créatrice de costumes à New York, où en quelques années elle s’est construit une réputation d’excellence et travaille avec les meilleurs à Broadway. Devant l’essor du cinéma, Grant est partie à la conquête de Hollywood et rencontre le succès là-aussi. Mis à part ce Nouvel An joyeux et en bonne compagnie, le début d’année reste très sombre pour Vincent, seul dans sa maison vide et visité par son fils seulement pour quelques rares week-ends. Les tournages, comme The Three Muskeeteers, l’occupent heureusement beaucoup et il devient à la radio la mythique voix du Saint, dont il enregistre les épisodes pendant quatre ans pour CBS. Célibataire, Vincent a le temps de se faire de nouveaux amis. Il rencontre les Warshaw, des artistes qu’il soutient et héberge dans sa maison et qui resteront des proches de Vincent toute leur vie. Il fait aussi connaissance de Judith Miller, avec qui il fondera l’Institut pour les Arts de Los Angeles au cœur des quartiers hispanophones. Il se prend d’amitié pour le couple Altman, collectionneurs d’art aussi ionnés que lui. Ralph Altman et Vincent sont perpétuellement à la recherche de nouvelles opportunités, de nouveaux « gisements » de pièces intéressantes, en particulier de poteries et d’art indigène sud-américain qu’ils accumulent pour s’impressionner l’un l’autre. Cette collectionnite n’est pas sans excès, et Price confessera conserver dans une petite boîte en argent un os subtilisé lors d’une visite des catacombes romaines. Plus ostensiblement, le jardin de la propriété de Benedict Canyon sera dominé pendant des années par un superbe totem indien d’une origine plus que douteuse. C’est le comédien et producteur John Barrymore (grand-père de l’actrice Drew Barrymore) qui l’a tout simplement découpé sans scrupules et embarqué sur son yacht lors de l’un de ses voyages en Alaska dans les années 1930. A sa mort, Altman achète l’objet sacré et propose à Vincent de l’installer chez lui. Même si Price finit par léguer
l’encombrant objet à un musée d’Hawaï (!), ce n’est que très récemment que le totem a refait le voyage vers les côtes de l’Alaska et ses propriétaires légitimes, le clan des Tlingit. Vincent noue aussi des amitiés fortes avec de nombreuses femmes dans le milieu du cinéma mais surtout dans celui de l’art, parmi lesquelles Mildred Jaffe ou encore Barbara Poe. Il se repose beaucoup sur ces amitiés pour l’aider à traverser les aléas de la vie, publics et personnels, sans trop de dégâts. Une nouvelle épreuve le frappe d’ailleurs en 1948 avec le décès de son père le 15 avril. Vincent se rend à Tucson pour régler liquider ses affaires et organiser les funérailles à Saint-Louis où il regrettera de ne pas pouvoir se rendre à cause de son travail. Il tourne en effet The Bride, avec les grandes stars du moment Robert Taylor, Charles Laughton et Ava Gardner. Le comédien est très impressionné par cette dernière, qu’il décrira comme la seule star à la hauteur de sa réputation en matière de sex-appeal. Dès la fin du tournage, il s’envole pour Hawaï et Waïkiki avec son fils car Edith Barrett leur permet de er trois semaines ensemble pour les huit ans du jeune Vincent Barrett. Ils ent leur temps à nager et pêcher et font la rencontre du légendaire surfeur Duke Kahanamoku (maire de Honolulu à l’époque) et de sa femme. Ils vont même s’offrir un tour de bombardier au-dessus de Pearl Harbor ! Dans le domaine de l’art, Vincent participe à la création du Modern Institute of Art, créé sur la base de la collection de Walter Arensberg. Pendant deux ans, un loft qui accueille le petit musée verra s’organiser de superbes expositions et sera plébiscité par les étudiants en art de la région. Malheureusement, et à la grande colère de Vincent, il doit ensuite fermer ses portes par manque de fonds, les mécènes n’étant pas assez nombreux et les étudiants pas assez riches pour faire durer l’aventure... Vincent ne cache pas sa déception du milieu hollywoodien dans différentes interviews à l’époque, regrettant que les fortunes de la Côte Ouest se plaignent de leur réputation de décadence et de vulgarité mais ne daignent pas mettre la main au portefeuille pour faire vivre une vraie scène artistique à Los Angeles. En ce début d’année 1948, Vincent Price et Mary Grant continuent à se voir même s’il n’y a encore rien de sérieux entre eux et que le comédien fréquente à nouveau son amour de jeunesse Barbara O’Neill. La presse s’échine aussi à inventer des histoires de cœur à Vincent depuis sa séparation d’Edith et extrapole sur ses amitiés avec Deanna Durbin ou avec Lorraine Kramer, une amie médecin. Le retour de O’Neill vers la Côte Est replonge Vincent Price dans son humeur maussade. Pourtant, petit à petit, sa liaison avec Mary Grant devient plus sérieuse même si elle reste discrète, car Vincent veut à tout prix préserver son fils des ragots dans l’ambiance délétère de son divorce en cours. 1949 est encore
une année difficile pour lui, mais qui voit enfin se régler sa séparation d’Edith Barrett. On assiste à un véritable pugilat, où les coups bas et la mauvaise foi sont de mise de part et d’autre comme souvent dans cette situation. Même si le divorce se résout devant le juge, les soucis perdurent avec des visites supprimées au dernier moment par Edi, chez qui Barrett habite, et des noms d’oiseaux qui continuent à être échangés. En juin 1949, le tribunal donne la garde de Barrett à sa mère et une pension pour chacun d’eux, tandis que Vincent garde un droit de visite… Du côté de l’art, son remède habituel pour se changer les idées, Vincent visite à nouveau le Los Angeles Junior College, où le travail de Judith Miller l’impressionne toujours autant. Il continue à se rendre régulièrement en Amérique Centrale et au Mexique, dont les sites archéologiques perdus au milieu de la jungle le fascinent et d’où il rapporte un grand nombre de pièces archéologiques, des poteries en particulier, comme un grand nombre d’amateurs plus ou moins scrupuleux à l’époque. Vincent démarre aussi une collaboration durable avec Jack Berry, qui va prendre forme à la radio puis à la télévision. A l’été, Price tourne Bagdad avec Laureen O’Hara, où il joue le rôle d’un méchant pacha à l’œil à demi clos, non à cause du scénario, mais à cause d’une brûlure subie lors d’une soirée costumée où son déguisement a pris feu… Le comédien souffre affreusement durant tout le tournage, sans que cela n’empêche la femelle chameau du plateau de s’enticher de lui, pour son plus grand amusement et celui de l’équipe ! Le film n’a malheureusement pas un aussi bon accueil, et l’œil gonflé de Vincent a refroidi même les plus fervents défenseurs de son jeu d’acteur. Plus sérieusement ou presque, Vincent, Mary et Perry Rathbone, ami proche et directeur du Museum of Fine Arts de Boston, partent peu après pour une de leurs tournées improvisées à San Diego, et de là décident de pousser leur route jusqu’à Tijuana au Mexique. À la fin du week-end, Vincent et Mary sont mari et femme, et Rathbone, sous le choc, un témoin unique et tenu au secret de ce mariage décidé sur un coup de tête, mais qui durera vingt-quatre ans ! Le age à la décennie des années cinquante ouvre ainsi une période bien plus faste pour Vincent Price sur le plan personnel et professionnel. Engagé dans un mariage heureux, il peut s’adonner à ses ions avec le soutien de sa femme. La costumière ne porte ni les acteurs ni le show-business hollywoodien dans son cœur, ce qui sied parfaitement à un Vincent Price toujours prêt à s’épargner les mondanités. Mary est aussi créatrice que Vincent est curieux de nature, et elle se consacre de plus en plus à la mode, de même qu’elle accompagne Vincent dans sa ion pour l’art, les voyages, la cuisine ou encore l’écriture de ses livres.
VI Les années cinquante sous le signe du succès
Le couple Price vit alors dans une maison de Benedict Canyon, qu’ils ont aménagée dans un style sudiste et que Mary s’emploie à rénover et décorer à partir de matériaux qu’elle récupère pour trois fois rien. Vincent, en digne héritier des Price, ne cesse pas pour autant de s’inquiéter des dépenses de la famille et de son avenir financier, même si sur ce terrain il a aussi trouvé une épouse parfaite. Pour leur lune de miel, le couple ret un voyage organisé en Amérique du Sud par le groupe de volontaires Hollywood Foreign Correspondents, et c’est un voyage de rêve pour le comédien toujours prompt à acheter toutes les pièces qu’il peut se permettre de rapporter. Les jeunes mariés voyagent avec Barbara Britton, avec qui l’acteur vient de tourner Champagne for Caesar, et ils sympathisent avec l’ambassadeur américain au Pérou, qui se trouve aussi être originaire de Saint-Louis et un ami de la famille Price. Seule ombre au tableau, la vie de Barrett chez Edith devient de plus en plus difficile. Cette dernière est dépendante à l’alcool et aux amphétamines, vit isolée et est souvent sans le sou, ce dont pâtit leur fils. Price est incapable de faire plus que verser sa pension, même s’il réussit à pousser son ex-femme—et son fils ! — à suivre une désintoxication pour décrocher au plus vite des amphétamines, qui étaient à l’époque prescrites à tour de bras. Vincent tente de er les meilleurs moments possibles quand il voit son fils pour le week-end ou les vacances et Mary, enfant de militaire qui elle non plus n’a pas pu apprécier la paix d’un foyer stable, met tout son cœur à en construire un chaleureux pour la famille recomposée. Les choses finissent tant bien que mal par trouver un équilibre pour Vincent entre son travail et sa famille, qu’il ne manque jamais d’appeler quand les tournages finissent tard. Sur le plateau de Champagne for Caesar, le comédien a fait la connaissance de son idole de jeunesse Ronald Colman, à qui il doit sa moustache. Ce film, qui sort sur les écrans en janvier 1950, est une comédie burlesque dans laquelle Colman joue le rôle d’un introverti surdoué qui va faire avaler son chapeau à Burnbridge Waters (Vincent Price), patron d’une grande marque de savon et organisateur du plus grand quiz télévisé du moment. Vincent campe l’outrancier Waters en ne retenant rien de ses cris et mimiques pour la plus grande joie du public. La critique sera globalement réceptive à l’humour du film et le public aussi. Ce tournage avec Colman est une très belle expérience pour Vincent pour qui il restera comme l’un
de ses meilleures expériences, mais Mary et lui réalisent vite qu’ils n’ont pas les mêmes valeurs que ces étoiles hollywoodiennes, en particulier lors d’un « mémorable » dîner chez les Colman où tous les convives—à part les Price qui sont venus en voisins — sont apprêtés de vêtements et bijoux dignes d’une soirée des Oscars ! Au printemps 1950 sort The Baron of Arizona, de Sam Fuller, qui relate l’histoire romancée d’un baron parvenu qui veut s’approprier le territoire de l’Arizona. Le rusé James Reavis (Vincent Price) invente pour cela un mariage avec une pseudo-héritière de la couronne espagnole, propriétaire du territoire avant son indépendance. La presse salue le travail de Vincent dans le rôle-titre. Le film sera même un petit succès, particulièrement en Arizona, où les Price sont reçus chaudement lors de sa sortie, emportant avec eux un gâteau à la forme de l’état d’Arizona qu’ils conserveront religieusement dans leur congélateur pendant des années, jusqu’à une fâcheuse panne de courant ! L’hiver 1950, Vincent tourne Curtain Call at Cactus Creek, une western-comédie fantoche aux côtés de Eve Arden. Le duo fonctionne très bien et le film est plutôt réussi malgré la phobie de l’acteur envers les chevaux, que le réalisateur ne parviendra pas à lui faire surmonter. Ce succès vient clôturer une année 1950 plutôt réussie pour Price car il signe aussi un contrat avec les Studios RKO, qui ont produit entre autres King Kong et Citizen Kane et qui viennent d’être rachetés par le magnat excentrique Howard Hughes. C’est lui qui s’emploie personnellement à faire tourner les stars du moment pour sa compagnie et il recrute Vincent sur un coup de cœur. Vincent tourne un premier film pour son studio, His Kind of Woman, avec la superbe Jane Russell et Robert Mitchum, deux autres vedettes de la RKO. Vincent y révèle son humour ravageur qui fait réécrire la fin du film aux scénaristes pour mieux en tirer parti, sous la supervision de l’omniprésent Hughes. Même si la production prendra plus d’un an à se finaliser et si ce n’est pas un grand film, Vincent assure ses arrières dans cette compagnie et y découvre un fonctionnement plus humain que celui des majors. Le contrôle absolu de Hughes sur les productions ne sera pourtant pas sans ca des problèmes, et précipitera la chute du studio et sa fermeture à la fin des années cinquante. Pour son prochain film, l’expédition sera plus lointaine mais moins longue que la production de His Kind of Woman. Vincent et Mary se rendent en pour le tournage de The Adventures of Captain Fabian qui doit démarrer en août 1950. La distribution compte aussi Errol Flynn et Micheline Presle et sera émaillée de retards et incidents. Cela arrange plutôt les Price qui en profitent
pour faire le tour de et séjournent à Paris pour le 14 juillet, où Mary, responsable des costumes pour le film, veut visiter les grandes maisons de couture pour les y faire fabriquer. Un report du tournage dû à l’absence de Flynn leur permet même de louer une voiture et d’aller explorer et dénicher des trésors un peu partout, de Reims à Chartres et leurs cathédrales jusqu’à la Provence et Nice où le tournage est basé. Finalement le film ne sera pas très bon, en grande partie à cause d’un Errol Flynn fatigué et usé par les excès qui a du mal à donner corps au personnage principal. Si cette production ne restera pas dans les annales, elle fut une superbe escapade européenne pour le couple Price, qui en rapporte, comme à leur habitude, une multitude de dessins, peintures et objets d’art en tous genres. A leur retour, les Price décident de déménager et quittent le 1815 Benedict Canyon. La maison, pas très bien exposée au demeurant, ne suffit plus à héberger leurs collections d’objets d’art. Après quelques recherches, ils dénichent sur Beverly Glen, entre Bel Air et Beverly Hills, une superbe demeure d’inspiration coloniale espagnole dont il tombe sous le charme. Ce style est un peu é de mode à dans les années 1950 et cela leur permet d’acquérir la maison sans trop se ruiner, pour cinquante mille dollars. C’est déjà une somme et, comme d’habitude, Vincent s’inquiète de trop dépenser. Pourtant, pour une demeure de huit cents mètres carrés avec dépendances et piscine olympique, c’est une vraie affaire ! Le couple va pouvoir accueillir Barrett confortablement, héberger un assistant pour s’occuper de lui ainsi qu’un homme à tout faire pour la propriété. Ils peuvent aussi recevoir et mettre en valeur leurs objets d’art. Mary e une grande partie de son temps à gérer cette immense maison, qui devient le grand projet de la famille. Malgré les angoisses de son mari, Mary se débrouille pour dénicher du matériel à peu de frais, comme un four qui leur servira à cuire les carreaux d’argile décorés pour leur piscine. Harry Mullen, embauché pour cuisiner et s’occuper de la maison, deviendra un ami proche de la famille, et sera toujours enthousiasmé par les projets de Mary. Barrett ret lui aussi définitivement la maisonnée en 1954, après avoir obtenu de la justice le droit de venir vivre chez son père. Sally, la nièce de Vincent, e aussi beaucoup de temps à la maison, de même que les nombreux amis de age et voisins. Hank Milam ret cette joyeuse équipe et lui et sa femme deviendront des amis proches du couple Price. Dans cette demeure en perpétuel chantier de décoration ou d’aménagement, Vincent est toujours prêt à débarquer à l’improviste avec des amis croisés sur le chemin du tournage, tandis que Mary, à l’inverse, préfère que tout soit parfait
quand les invités des nombreuses soirées arrivent. De même, au niveau vestimentaire, Vincent prend un malin plaisir à déambuler vêtu n’importe comment, portant tenue dépareillée et veston de la soirée précédente, tandis que Mary veille à ne pas le laisser pas partir aux studios sans avoir vérifier sa tenue. Il faut dire que le daltonisme du comédien ajoute à sa rébellion naturelle contre la mode ! Tout comme leur précédente demeure, la nouvelle propriété est une véritable arche de Noé. Tortues blessées, pigeons, perruches, et évidemment des chiens : Prudence le caniche de Mary, qui va donner onze petits aux Price dont Pasquale qui restera vivre avec eux au 580 North Beverly Glen. Vincent tourne alors toujours aussi régulièrement, notamment dans The Las Vegas Story pour RKO qui sortira en 1952, où il retrouve Jane Russell et campe un mari assez peu crédible dans un scénario pas très inspiré qui voit leur couple se séparer sans jamais aucune dispute ni aucune explication entre les deux. Vincent est un peu frustré de jouer dans ce genre de films dont il sent les graves faiblesses, d’autant qu’il reçoit de nombreuses offres de rôles à Broadway à cette époque. Il choisit pourtant de rester à Hollywood, alors que s’annonce un film charnière dans sa carrière. Il s’agit de House of Wax, produit par Warner Bros. Ce film fantastique est— déjà ! — un remake plus haut en couleurs de Mystery of the Wax Museum sorti en 1933, lui-même tiré d’une nouvelle du scénariste Charles Belden écrite en 1932. C’est le premier film en 3D stéréoscopique produit par la Warner, et le film est réalisé par André De Toth, qui pourtant ne voit que d’un œil ! Le patron Jack Warner compte sur cette nouvelle technologie pour contrer l’ascendant que commence à prendre la télévision sur l’industrie cinématographique. Le handicap de De Toth est sans doute pour beaucoup dans la qualité du film. En effet, insensible au gadget de la 3D, il réalise son film de façon solide. Les acteurs sont bons, et les maquilleurs de Vincent Price font un travail horriblement irable ! Vincent incarne dans cette production un sculpteur un peu naïf qui disparaît dans l’incendie frauduleux de son musée déclenché par son associé. Rendu fou par les brûlures qui l’ont dévisagé, Henry Jarrod (Price) revient se venger en cachant son vrai visage sous un masque de cire. Et au lieu de sculpter de nouveaux personnages pour son musée, il va tout simplement tremper de vraies personnes dans un bain de cire bouillante pour les exhiber dans sa nouvelle galerie des horreurs. Rendu réaliste garanti ! L’artiste fou finit par être percé à jour par la jeune Sue Ellen qui a reconnu son amie disparue dans la statue de cire de Marie-Antoinette. Démasqué—au sens propre—, Jarrod
entreprend après l’avoir capturée de la transformer elle aussi en mannequin de cire. Heureusement, la police débarque juste à temps, et dans sa lutte, Jarrod fait une chute mortelle dans la cuve de cire bouillonante. Dans le rôle de l’assistant mutique de Jarrod, on peut relever la présence du jeune Charles Bronson (encore crédité au générique sous le nom de Charles Buchinsky à l’époque), qui montre déjà un talent certain pour incarner des personnages froids et inexpressifs ! Après le gros succès de House of Wax, les cieux semblent au beau fixe pour Vincent et sa grande famille. Pourtant, les nuages de la Guerre Froide s’accumulent à l’horizon et une tempête s’annonce, période difficile qui va marquer durablement le comédien. Tout se e bien encore pour un temps et les tournages continuent à s’enchaîner même si les films s’avèrent médiocres, avec Dangerous Mission et Son of Sinbad dans son contrat pour RKO, Casanova’s Big Night pour Paramount où il ne fait qu’un bref cameo au début du film dans le rôle de Casanova, ou encore The Mad Magician pour Columbia. Dangerous Mission est réalisé par Louis King pour Irwin Allen, le futur roi du film catastrophe. Vincent y campe un classique méchant, mais cette fois en blue jeans et avec des lunettes. Il finit comme souvent éliminé de façon brutale, par une avalanche cette fois ! En ce qui concerne Casanova’s Big Night, le seul point positif pour Vincent aura été de retrouver ses amis Joan Fontaine et Basil Rathbone, qui s’est alors éloigné du cinéma pour retourner jouer au théâtre, ainsi que le réalisateur Bob Hope pour qui il a accepté de jouer ses deux scènes. The Mad Magician joue sur le succès de House of Wax, mais reste un fade film d’horreur où Vincent finit brûlé dans un crématorium de sa propre invention. Quant à Son of Sinbad, Vincent s’en rappellera comme l’un de ses meilleurs « pires » films. L’intrigue a été construite pour réussir à faire figurer des dizaines de jeunes filles à qui les dirigeants de RKO ont promis un rôle dans un film suite à un concours… Bien peu d’entre elles poursuivront une réelle carrière de comédienne ! On peut tout de même y découvrir Kim Novak, la future héroïne de Vertigo (Sueurs froides) d’Alfred Hitchcock, qui confiera bien plus tard à Victoria Price, la fille de Vincent, avoir fait ses débuts dans cette production.
VII Le virage vers le fantastique
C’est au milieu de l’année 1953 que la carrière de Price va marquer un coup d’arrêt. Le maccarthysme bat son plein et la chasse aux sorcières à Hollywood va briser de nombreuses carrières. Vincent n’a rien d’un communiste, il est vacciné contre les idéologies radicales depuis l’avant-guerre, mais son implication dans le soutien aux résistants espagnols et ses prises de position pour la guerre contre Hitler (avant que cela ne devienne la position officielle des USA) en font un suspect potentiel. Il se retrouve donc sur « liste grise » (greylist) et s’il n’est pas mis en cause officiellement, il semble que les studios aient reçus de fortes incitations à ne pas le faire tourner dans leurs films. Vincent est terrorisé à l’idée de tout perdre, mais le soutien de Mary et de ses amis ainsi que sa bonne foi dans cette affaire lui permettent de tenir le coup. Il décide de prendre les devants et de laver le plus vite possible son nom de tout soupçon et de toute investigation. Il reçoit donc en entretien des agents du FBI et obtient que son nom soit officiellement blanchi. Même s’il prétend alors ne pas avoir eu à faire de confessions ou d’autocritique, sa fille Victoria retrouvera après sa mort la lettre qu’il signe alors, dans laquelle il condamne les pro-communistes ainsi que le recours au cinquième amendement de la constitution des USA, et jure de ne pas avoir d’affinité pour le socialisme. Par la suite, il défendra toujours publiquement la liberté de pensée et d’expression, mais cette fois-là, dans la tourmente, il doit se compromettre et renier ses valeurs pour protéger sa carrière et sa famille. Après cet épisode fâcheux, la vie commence à reprendre son cours presque normalement chez les Price, quand au début de 1955, la rumeur se répand que Cecil B. De Mille démarre un énorme projet. Il s’agit des Dix Commandements et tout acteur connu à Hollywood veut figurer dans la distribution. Vincent ne fait pas exception, et voit là une occasion de rebondir durablement après les troubles et la déprime de l’année précédente. Il décroche le rôle du maître des esclaves Baka, et au cours de son travail avec lui finit par apprécier et irer De Mille. Le film reçoit des critiques mitigées, en particulier sur le caractère archétypal des personnages, mais c’est un énorme succès populaire qui est encore régulièrement diffusé à la télévision. Autre bonne nouvelle en 1955, Vincent tourne dans le très bon film noir When the City Sleeps, réalisé par Fritz Lang pour RKO, où il côtoie entre autres Dan Andrews et Rhonda Fleming.
Même si Lang n’est pas particulièrement fier de ce film, il est apprécié par la critique et le public. Vincent tourne ensuite pour la Warner dans Serenade, un film tiré d’un roman de 1937 assez controversé de James M. Cain, qui dépeint en particulier une relation homosexuelle entre deux hommes. La version filmée et édulcorée n’aura pas un grand succès, même si Vincent est encore une fois repêché par certains critiques. Le comédien est néanmoins satisfait, car il travaille à nouveau et peut choyer sa famille, contrairement à certains de ses amis qui ne reverront plus les plateaux de tournage suite à la grande purge de ce début des années cinquante. Il garde la conviction d’avoir une grande chance de pouvoir tourner, qui se reflète dans la facilité avec laquelle il accepte les tournages et les critiques de tous les films qu’on lui propose ou presque, les bons comme les moins bons. Vincent participe aussi cette année-là pour quelques minutes de narration au film The Vagabond King, la dernière opérette jamais tournée à Hollywood, un film dont Mary a créé les costumes et qui ont contribué à son succès ! En janvier 1957, Vincent Price tourne à nouveau avec son idole de jeunesse Ronald Colman dans The Story of Mankind pour Warner Bros. Le film, réalisé par Irwin Allen, est une réunion imaginaire de personnages célèbres de l’histoire de l’Humanité, et le casting est particulièrement imposant. Vincent y joue— quelle surprise ! — le rôle de Lucifer, qui plaide pour l’accusation et réclame la destruction de l’Humanité corrompue. Comme dans de nombreux films de cette période, on sent que la fin de la guerre et le traumatisme de la bombe atomique sont installés dans les esprits. Au casting se trouvent aussi l’amie de Vincent Agnes Moorehead, ainsi que Dennis Hopper en Napoléon Bonaparte. Le jeune homme deviendra par la suite un ami très proche de Vincent et Mary, qui l’encourageront dans la peinture et la photographie. Le film n’est pas un grand succès, mais Vincent estime que pouvoir tourner une fois de plus avec Ronald Colman en valait la peine. Même s’il n’est plus la cible des anticommunistes, le rythme de travail de Price commence à baisser nettement. Il entre dans la quarantaine, et bien peu d’acteurs parviennent à tenir la barre face aux nouveaux talents. John Wayne et Gary Cooper semblent inoxydables mais d’autres stars déterminées à continuer leur carrière coûte que coûte comme Errol Flynn ou Douglas Fairbanks Junior sombrent dans l’auto-caricature. Vincent quant à lui tient son créneau de génie du mal, et c’est finalement ce filon qu’il va cre de façon durable, tout en étant tout de même forcé d’accepter beaucoup de ce qu’on lui propose pour assurer son train de vie hollywoodien. Il tourne en 1958 dans The Fly, une
adaptation d’une nouvelle de George Langelaan qui a remporté le prix de la meilleure nouvelle de Playboy 1957, et dans laquelle Vincent joue le rôle de François Delambre, le frère d’un scientifique victime de sa machine de téléportation et à demi changé en mouche. La 20th Century Fox engage James Clavell, futur scénariste de La Grande Évasion ou Shogun, pour adapter la nouvelle pour le grand écran, pour un résultat plus que convaincant. À la fin du film, Price et Herbert Marshall, qui joue le rôle de l’inspecteur chargé d’élucider la mort du mutant, mettent un terme à la vie du deuxième mutant alors que celuici est prisonnier d’une toile d’araignée dans le jardin. D’une voix minuscule, il appelle « Heelp meeee… », et les deux acteurs auront bien du mal à boucler la scène, terrassés par un fou rire mémorable. Le film, qui a coûté un demi-million de dollars, en rapporte plus de trois millions ! Il deviendra un film culte qui sera repris en 1986 avec Jeff Goldblum dans le rôle du scientifique mutant, et qui pourrait à nouveau faire l’objet d’un remake dans un avenir proche. C’est aussi en 1958 que Vincent rencontre et commence à travailler avec un personnage haut en couleurs du cinéma américain, William Castle. Vincent Price et lui tourneront quelques-uns des films qui vont bâtir l’image de Price aux yeux du grand public et feront de lui un acteur culte du cinéma fantastique. Castle est tout autant un réalisateur talentueux qu’un homme d’affaire inspiré. ionné de films fantastiques depuis l’adolescence, il démarre en tournant des films de série B pour Columbia, jusqu’à ce qu’on le laisse réaliser son premier film. Il tourne alors Macabre, un film d’horreur qui aura un petit succès. Pour ce film, Castle s’est illustré en faisant signer aux spectateurs une police d’assurance à l’entrée des salles de projection : une assurance-vie en cas de décès par mort de peur ! Ce style plaît aux majors, qui cherchent encore et toujours à contrecarrer la montée en puissance de la télévision. Après les films en 3D, il leur faut de nouveau gimmicks pour animer les salles, et avec Castle, elles vont en avoir pour leur argent. Castle se lance alors dans son nouveau projet, House on Haunted Hill, et va convaincre Vincent de jouer le premier rôle. Il rencontre tout d’abord Vincent « par hasard » —mais y-a-t-il jamais un hasard quand William Castle a une idée en tête ? — dans un snack près des studios Goldwyn et lui détaille le scénario : Frederick Lore, un millionnaire excentrique, invite cinq inconnus dans son manoir et offre dix mille dollars à quiconque y era la nuit et en ressortira vivant. En effet, le manoir est supposé hanté par les fantômes de sept personnes qui y ont été assassinées durant le siècle é. Vincent trouve Castle ambitieux et plein de ressources et accepte le rôle sans hésiter. Le film sort en 1958 et est
doté du système « Emergo » inventé par Castle, qui fait voltiger un squelette fluorescent dans la salle le long d’un câble tendu au plafond dès qu’un squelette apparaît à l’écran. Les jeunes américains se pressent pour découvrir le film, qui fut tourné pour 150 000 dollars et en rapportera plus de 4 millions ! On vit alors à la fin des années cinquante dans une renaissance du cinéma d’horreur gothique aux Etats-Unis. Si le genre avait eu son heure de gloire dans les années trente avec les succès de The Mummy, Dracula, The Wolf Man ou Frankenstein pour les studios Universal, les stars de l’époque Boris Karloff, Basil Rathbone, Bela Lugosi ou encore Lon Chaney ont par la suite disparu des écrans, souvent pour retourner au théâtre. Le genre est relancé par les studios anglais Hammer, qui dépoussièrent les classiques dans les années cinquante, toujours avec de très faibles budgets, mais avec une qualité cinématographique et des acteurs bien supérieurs aux films américains de série Z. Ces films sont souvent projetés en première partie de soirée avant les grosses productions d’Hollywood, et servent en particulier à respecter les quotas de productions britanniques en vigueur à cette époque au Royaume-Uni. Ces films sont distribués pendant quelques années aux USA, mais la concurrence de la télévision est féroce. La Hammer va finalement réussir à se faire un nom de l’autre côté de l’Atlantique grâce au succès de The Curse of Frankenstein avec Peter Cushing au Royaume-Uni, film que la Warner s’empresse d’acheter pour le distribuer aux USA. Jack Warner ne peut manquer cette occasion d’occuper le terrain du fantastique et de concurrencer les omniprésents Universal Studios et le succès de leur film Creature from the Black Lagoon en 1954. L’engouement des jeunes américains pour The Curse of Frankenstein est d’autant plus grand que les critiques enfoncent le film, le décrivant comme horrible et répugnant. Il rapporte 7 millions de dollars à la Warner en ayant coûté moins de 300 000 dollars à produire. C’est dans ce contexte de renaissance du genre que Castle va se faire sa place. Le public suit, exorcisant devant le grand écran ses craintes du monde réel où les relations entre grandes puissances sont plus tendues que jamais et leur pouvoir de destruction énorme. Vincent tourne ensuite avec le réalisateur The Tingler pour la Columbia, où il joue le rôle d’un scientifique qui parvient à isoler la peur sous forme d’un organisme scolopendriforme qui se love dans la colonne vertébrale de ses victimes. Le seul moyen de le faire disparaître est de hurler sa peur. Gare à celui qui ne le fait pas, ses vertèbres sont alors broyées et il meurt de peur ! Le film bénéficie du nouveau gadget inventé par Castle, Percepto. L’appareil, camouflé dans certains sièges des salles, est une sorte de buzzer capable d’envoyer une décharge de vibrations dans le dos des spectateurs au moments cruciaux, notamment quand dans le film le « Tingler » s’échappe dans
une salle de cinéma obscure, ce qui provoque inévitablement des hurlements de surprise et quelques évanouissements de spectateurs. Le dispositif fut conservé et réutilisé plusieurs fois notamment lors du Summer Festival of Fantasy, Horror and Science Fiction de New York. Le principal rôle féminin est tenu par une vieille amie de Vincent, Judith Evelyn, qu’il a aidé à obtenir le rôle. Patricia Cutts incarne la femme volage du scientifique et les scènes de ménage entre les époux ne sont pas sans rappeler la séparation difficile de Vincent et sa première femme. Ses sarcasmes et son ton glacial et plein de reproches donnent peut-être aussi à voir une autre facette du caractère de l’acteur, qui peut se montrer blessant parfois avec ses proches. Ce qui est certain, c’est que sa collaboration avec Castle achève de figer Vincent dans le rôle du vilain, et lui fait sans doute rater ainsi d’autres opportunités. Pourtant, —et William Castle l’avait prédit à Vincent qui s’en inquiétait—ces films des années cinquante font découvrir le comédien à une nouvelle génération de spectateurs et vont lui donner une popularité énorme auprès de la jeunesse, ce qui sera l’une des clés de son succès et de sa longue carrière. En plus de son caractère très ouvert, l’humour et l’autodérision de Vincent Price en font un acteur très attachant, qui même en prenant de l’âge reste populaire tandis que la plupart de ses cogénérationnaires disparaissent peu à peu dans l’ombre.
VIII La vie à Beverly Glen
Durant cette fin des années cinquante, Price tourne quelques films mineurs et assez peu appréciés de la critique. En 1958, The Big Circus est une intrigue policière qui prend place sous un chapiteau. Vincent fait un Monsieur Loyal finalement assez peu crédible tant il est un numéro à lui seul par sa taille et son costume. Et pour une fois, malgré les apparences, ce n’est pas lui le méchant de l’histoire ! Il accepte aussi de tourner dans The Return of the Fly, la suite du film de 1958 qui sort à l’été suivant, même si celui-ci est nettement plus faible. Enfin, il retrouve son amie Agnes Moorehead dans The Bat, toujours en 1959, pour la quatrième adaptation de cette pièce à succès de Broadway des années vingt. C’est l’acteur-réalisateur-scénariste Crane Wilbur qui signe cette adaptation. Il a déjà participé à l’écriture de deux films de Vincent par le é, The Mad Magician et House of Wax. Ici il signe une histoire de meurtres commis par un mystérieux personnage masqué et griffu—The Bat—, et un film sans grande profondeur mais distrayant. De façon intéressante, le rôle principal est pour une fois tenu par une femme, Agnes Moorehead, dans le rôle de l’écrivaine de polar Cordelia Van Gorder. Vincent joue le rôle du médecinscientifique, mais pas du meurtrier (qu’on se rassure, il se fait quand même liquider à la fin !). Même si ce n’est certainement pas un grand film, l’adaptation de la pièce étant un peu grossière et mal ficelée, Vincent reste en tout cas solidement installé en haut de l’affiche. Pour ce qui est de leur vie sociale à Hollywood, les affables Vincent et Mary Price sont entourés d’une petite troupe d’amis et voisins venant du monde du cinéma, de l’art ou simplement des collectionneurs comme Vincent. La maison est toujours animée, ce qui convient parfaitement à Vincent, qui aime être entouré et rassuré depuis l’échec de son premier mariage et face à cette vie d’artiste qu’il craint de pas maîtriser. On croise chez eux des personnalités telles Henry et Doris Dreyfuss, qui sont parmi les plus proches amis du couple. Dreyfuss est un important designer industriel, à l’origine des formes du téléphone standard Bell, de celles du Polaroid ou encore du tracteur John Deere. Vincent l’a rencontré lors de l’aventure de la création du Modern Institute of Art, et il est lui aussi un fervent collectionneur d’art précolombien. Les trois amis les plus proches de Mary quand elle vivait à New-York font aussi partie du tableau. Et même s’il ne porte pas dans son cœur la vie mondaine de Los Angeles,
Vincent se fait de nombreux amis dans le monde du cinéma via son travail. Helen Hayes, Clifton Webb, Monsieur et Madame Ronald Colman, ou encore Boris Karloff, Joan Crawford et de nombreux autres apprécient Vincent et font partie du cercle de personnalités qui entourent ce couple modèle et leurs réceptions. Vincent reste pour autant assez détaché de Hollywood, et il est même intimidé comme un jeune premier lorsqu’il rencontre pour la première fois Greta Garbo et doit lui faire la conversation lors d’un dîner. Toujours ouverts à de nouvelles rencontres, les Price sont ravis que Hank et Marin Milam, qui habitent à la propriété, leur permettent de rencontrer une nouvelle génération d’artistes californiens. Curieux infatigable même s’il est loin d’être un fan de mécanique, le « discret extravagant » Vincent Price sera aussi l’un des premiers à s’exhiber au volant de son camping-car Clark Cortez, avec lequel il emmène ses amis jusqu’à Tijuana au Mexique ou simplement sur la plage pour l’apéritif au bord de la Pacific Coast Highway ou de Sunset Boulevard. L’un de ces jeunes amis des Price n’est autre que Dennis Hopper, artiste enfiévré et en froid avec Hollywood à cette époque, qui e ses journées à peindre de grandes toiles ou à cuire des céramiques dans le four que les Price ont installé dans leur garage. Vincent et Mary s’éprennent du jeune artiste, le conseillent et lui voient un bel avenir à Hollywood (!). C’est d’ailleurs au bras de Hopper que Mary se rendra à la cérémonie des Oscars de 1959, tandis que Vincent se prépare en coulisses à remettre l’Oscar de la direction artistique. Comme on peut l’imaginer cette ambiance de fêtes s’accompagne d’excès permanents, et les normes de conduite en état d’ivresse n’étaient certainement pas aussi fermes à l’époque que de nos jours. Mary s’inquiète souvent de ces soirées trop arrosées, mais assez peu quant aux dangers des retours de soirée en camping-car. Le souci est plutôt que Vincent a l’alcool mauvais, si l’on peut dire. Lors de ces fins de soirée, lorsqu’ils ne sont plus que tous les deux, il se livre à des scènes de ménage acerbes et méchantes, qui contrastent avec le personnage affable et prévenant qu’il est le reste du temps. Tous les habitants de la résidence, dont Barrett le fils de Vincent ou encore Hank Milam, connaissent ou entrevoient un jour ou l’autre ce côté de Price et savent s’éclipser au premier signe de crise. Sans doute son caractère laisse ressortir là sa fragilité et un sentiment de ne pas être à sa place qui le suit toujours. Vincent est un touche-àtout de génie, mais cela a sans doute aussi des cotés négatifs, en particulier sur ses angoisses envers l’avenir. Son fils Barrett deviendra au fil des années son confident, et Vincent reviendra souvent sur ce sentiment de ne pas trouver sa place, sur ses regrets et ses angoisses. Surtout pour ce qui est de l’amour, Vincent tâtonnera aussi toujours, doutant d’avoir su aimer correctement et
suffisamment ses proches. Victoria, sa fille, confiera qu’à la fin de sa vie son père avait aussi des doutes ou des regrets quant à l’orientation sexuelle qu’il avait assumée toute sa vie, et peut-être qu’une partie de l’incapacité de Vincent à être pleinement satisfait de sa vie y prend déjà son origine dans ce début des années soixante. Malgré ces moments de doute, Vincent et Mary forment un couple uni et partagent de nombreuses ions : le cinéma, l’art, la décoration de leur demeure, la cuisine, et aussi les matchs de baseball qui font partie des loisirs traditionnels que les Price apprécient. Pour Vincent, un hotdog moutarde en regardant un match au stade de baseball est un délice garanti. Le superbe climat californien leur permet aussi d’écumer les pépinières et de chérir une belle collection de cacti, orchidées et plantes à fleurs en tout genre. Les voyages sont aussi une des grandes occupations du couple pendant les vingtquatre ans de leur mariage, des moments précieux où ils peuvent er du temps ensemble. Que ce soit lors des tournages de Vincent, sur lesquels Mary essaie toujours de le redre, ou bien au volant de leur camping-car, le duo est insatiable de grands espaces et de découvertes. En 1951, Vincent emmène Mary dans un long voyage qui les mène à travers le Mexique et ses sites archéologiques, qui resteront sans doute leur destination favorite, en Haïti, aux Bermudes et à Hawaï. Hawaï où l’essor des avions à propulseurs leur permet de se rendre plus aisément, même si Vincent reste angoissé en avion, et cela ne s’arrange pas dans ces nouveaux avions sans hélices ! Aux Etats-Unis, Vincent et Mary prennent l’habitude de visiter le Sud-Ouest, en particulier les centres et réserves indiens qui leur offrent un direct avec les coutumes et l’artisanat traditionnels. En collectionneur éclairé, Vincent y trouve toutes sortes de pièces dont une montre navajo en argent et turquoise qu’il portera tout au long de sa vie, et qui définit assez bien son style esthétique sud-étatsunien. Grâce aux tournages de Vincent, les Price peuvent aussi régulièrement se rendre en Angleterre pour visiter Londres et les terres natales de la famille de Mary. En 1958, ils s’offrent un grand tour en Grèce où Vincent espère étancher sa soif de connaissance sur les cultures anciennes. Ils s’aventurent jusqu’à Istanbul puis l’Italie et Venise. Le couple e aussi quelque temps en Espagne, et même s’ils sont un peu déçus par Madrid, Vincent est ému de visiter et de voir en particulier les œuvres de Muñoz et de Goya, dont il avait acheté des croquis à l’époque où il vivait encore à Saint-Louis chez ses parents. Ils sont heureux de retrouver leur foyer pour Noël et ont rapporté avec eux une énorme quantité d’objets, poteries, et même un poêle en cuivre de quinze kilos !
IX L’essor de la TV et la réponse d’AIP
Dès le début des années cinquante, alors que les majors observent avec inquiétude la montée en puissance de la télévision, Vincent Price y fait son apparition, et ne va plus la quitter jusqu’aux années quatre-vingts. Il voit dans la télévision un puissant de communication et de diffusion des œuvres, ainsi qu’un moyen d’éduquer la population. Évidemment son principal intérêt est aussi de tourner pour des émissions de talk-shows, des téléfilms, ou encore du théâtre filmé. Pour Noël 1949 déjà, il narre le classique The Christmas Carol de Charles Dickens dans une version diffusée tout autour des États-Unis pour la première campagne publicitaire télévisée de Magna Vox, fabricant de postes TV et de matériel électronique. Différentes marques de bières, cigarettes et autres, sponsorisent et produisent ainsi des émissions qui leur servent, déjà, de trame narrative pour montrer leurs produits lors des pauses publicitaires. Vincent Price participe à plus d’une trentaine de téléfilms et épisodes dans les années cinquante, parmi lesquels des épisodes du Lux Video Theatre, tiré du populaire Lux Radio Theatre qui présente des pièces radiophoniques depuis les années 1930 sur la radio CBS. Ce format court, d’une durée d’une heure puis plus tard trente minutes, présente des productions originales ou des adaptations raccourcies de films populaires. Price apparait aussi dans deux épisodes de Science Fiction Theatre, là aussi un format court, où typiquement pour l’époque, un hôte prend la parole au début de l’émission pour introduire son concept et l’intrigue qui va être présentée. Le représentant le plus connu de ce type d’émission en est sans nul doute The Twilight Zone (La quatrième dimension), dont la qualité d’écriture a aidé son exportation et sa traduction pour le public francophone. Vincent participe aussi à un épisode de la série Alfred Hitchcock presents…, en 1957 dans l’épisode The Perfect Crime, où il incarne un détective ionné de céramique, et expert dans le maniement de four à haute température ! Cette ouverture vers le média d’une nouvelle génération, que Vincent réussit contrairement à d’autres comédiens moins à l’aise en direct à la télévision par exemple, le fait connaître d’un public sans cesse plus large et ajoute encore à sa popularité aux États-Unis. C’est aussi une activité rentable, qui lui laisse plus de temps que les tournages de longs-métrages pour ses autres occupations et sa famille. En 1956, Price est invité à participer à un quiz télévisé à la mode, le $64000 Challenge, qui l’invite en tant qu’expert en arts. Il réussit brillamment et devient l’une des figures récurrentes de l’émission pour un temps.
Il se forge alors une réputation de fin connaisseur en art et d’intellectuel non seulement auprès des collectionneurs comme lui, mais aussi auprès de son public. Une polémique sur une éventuelle fuite des questions à venir ajoute encore un peu de buzz à sa performance. Après avoir assuré sa place à Hollywood pendant les années cinquante, Vincent ajoute une nouvelle corde à son arc et va pouvoir se consacrer davantage à sa ion pour l’art et à la diffusion de la connaissance, tout en continuant à assurer des revenus hollywoodiens à sa famille ! Au début des années soixante, le cinéma de genre, et en particulier des histoires de fantastique gothique ont à nouveau le vent en poupe. Les studios Hammer en Angleterre et Universal qui distribuent ses films aux Etats-Unis ont ravivé la flamme du public avec les gros succès de Curse of Frankenstein et de Dracula portés par le charisme d’un Christopher Lee au sommet de son art dans les rôles principaux, et maintenant de jeunes studios émergent et veulent leur part du gâteau. Tandis que les grands studios ont perdu leur monopole et misent sur quelques films à gros budgets par an avec les stars du moment, les exploitants de salles sont toujours à la recherche de films moins chers et capables de continuer à remplir les salles face la montée en puissance de la télévision. C’est ainsi que Sam Z. Arkoff, producteur de télé—et inventeur du rire enregistré—, et James Nicholson—aucun lien avec l’acteur du même nom— créent les studios American International Pictures (AIP), qui vont produire toutes sortes de films : western, films de bikers, films de beach parties, d’action, et plus tard de sciencefiction, pour des budgets minimes et une forte rentabilité. Leur méthode consiste à trouver de jeunes réalisateurs ingénieux, capables de tourner en quelques jours des histoires au scénario plus que minces. Ils dénichent leur perle rare avec Roger Corman, un enfant prodige qui va à lui seul réaliser la plupart des production AIP, et se vante encore aujourd’hui de ne jamais avoir fait perdre d’argent au studio, même avec ses pires films. Il tourne par exemple son premier film, Monster From the Ocean Floor, pour un budget de 12 000 dollars ! Évidemment, AIP n’est pas seul sur le créneau. Beaucoup d’investisseurs se précipitent sur ce créneau facile, inondent le marché et au début des années 1960 la demande pour ces films petits budgets s’effondre. Afin de relever le niveau du contenu des films sans trop de frais, Corman a alors l’idée d’adapter l’œuvre d’Edgar Allan Poe dans une série de films. Nicholson, quant à lui, est un fan d’horreur gothique depuis son enfance et il est ravi de se lancer dans ce que l’on appellera le « Cycle Poe » chez AIP. Afin de parvenir à hausser la qualité des films de la série, Corman va obtenir
d’AIP le luxe de disposer de quinze jours par tournage, au lieu de devoir filmer deux films en deux semaines ! La première adaptation est La Chute de la Maison Usher. Corman raconte que son premier et unique choix pour le rôle du héros maudit Roderick Usher est Vincent Price. Les deux producteurs sont d’accord avec lui mais vont devoir allonger le budget pour s’offrir un acteur dont la carrière est maintenant à son apogée et qui ne travaillera pas au tarif habituel de la maison Corman ! AIP envoie donc le script de House of Usher à Vincent, qui, intrigué et amateur de l’œuvre de Poe, accepte le rôle et un nouveau défi dans sa carrière. Il négocie un contrat exclusif avec AIP pour une série de films fantastiques, pour un salaire de 50 à 80 000 dollars par film. Incapables de sortir une telle trésorerie, AIP et le comédien tombent d’accord pour qu’il reçoive ce salaire de façon échelonnée sur plusieurs années. Vincent s’entend dès le départ très bien avec Roger Corman, qui l’apprécie en retour pour son intelligence, son professionnalisme et sa capacité de travail. Contrairement à la plupart des jeunes acteurs avec lesquels Corman travaille habituellement, Vincent connaît ses textes. Il n’a pas vraiment besoin de direction d’acteur, et apprécie les tournages courts qui lui laissent du temps pour sa famille. Le principal défi de cette adaptation des œuvres de Poe réside dans le fait que la majorité des intrigues sont très brèves voire fugaces, et Richard Matheson à l’écriture va s’employer à ajouter de la matière de façon assez subtile aux récits parfois peu adaptés au cinéma. Ainsi, si le travail fut relativement aisé pour les nouvelles La Chute de la Maison Usher et Pit and The Pendulum, il doit de toute son imagination pour transposer à l’écran le court poème The Raven ! Pour La Chute de la Maison Usher, Vincent Price se teint les cheveux en blanc et incarne à merveille le personnage torturé de Roderick Usher. Corman raconte qu’il souhaitait ne pas avoir de scènes d’extérieur dans ces films adaptés de Poe pour renforcer l’impression de rumination intérieure et de huis clos qui imprègne les récits. On peut aussi supposer que les budgets limités rendaient l’organisation de tournage de scènes d’extérieur quasi-impossibles ! Un seul plan d’extérieur à cheval fut en réalité tourné pour ce film, en profitant d’un feu de forêt qui avait créé—gratuitement— un parfait décor désolé d’arbres brûlés. Pour Pit and The Pendulum, une autre scène à cheval fut tournée sur fond d’un océan censé représenter les tumultes de l’esprit, mais ne fut finalement pas utilisée. Si la démence du personnage lui en fait faire des tonnes, les critiques ne descendent pas pour autant Vincent et le film est plutôt apprécié par les amateurs de classiques de l’horreur. Au niveau des entrées, c’est le jackpot pour AIP et
Corman : le film a été produit pour 270 000 dollars et en rapporte 2 millions durant l’été 1960 où il est projeté en doubles séances aux côtés de Psychose d’Alfred Hitchcock ! C’est alors la meilleure sortie d’AIP et son premier film grand public, qui sort le studio des séries B et Z. Tous se remettent alors immédiatement au travail pour poursuivre sur leur lancée cette série qui comprendra six films au total. Les deux premiers sont conçus comme de réels hommages à l’œuvre de Poe, et suivent d’aussi près que possible les textes de l’auteur américain. Les deux suivants sont plutôt des comédies, très librement inspirées des textes fantastiques, mais pour les deux derniers films, Corman reviendra à un ton plus sérieux et au film fantastique classique. Tourné en 1961, Pit and the Pendulum est le deuxième film de la série et est lui aussi un film noir et plutôt sérieux qui deviendra un classique du genre. Les perfectionnistes Price et Corman retravaillent fréquemment le script dans lequel Vincent incarne Don Nicholas Medina, un noble espagnol rongé par les horreurs commises par son père durant l’Inquisition. Outre ses nombreuses victimes anonymes, celui-ci a assassiné sous les yeux de son fils son épouse et son frère qui avaient une liaison. La mère avait fini emmurée vivante et après le décès de sa propre épouse Elisabeth, Nicholas est hanté par l’idée de l’avoir ensevelie vivante elle aussi. En réalité, elle est effectivement bien vivante, car elle complote pour se débarrasser de Medina en le poussant à la folie. Celui-ci réalise la duperie et, ayant cette fois effectivement perdu l’esprit, il tente de se venger en recréant la fin tragique de sa mère et de son amant, qui fut découpé vivant par un énorme pendule armé d’une lame, l’emblème du film. Cet accessoire de décor a évidemment demandé le plus de travail pour un résultat convaincant à l’écran, notamment grâce à des effets sonores soignés. Elisabeth est incarnée par l’anglaise Barbara Steele pour son premier film à Hollywood, et elle sera doublée pour la sortie du film, Corman jugeant son accent populaire anglais inadapté au personnage ! Après ces deux succès, AIP souhaite enchaîner les sorties de la série au rythme d’une par an. Le film suivant, Tales of Terror, est composé de trois segments dans lesquels Vincent joue le personnage principal. Dans la première partie, intitulée Morella, un homme reçoit la visite de sa fille qu’il n’a pas vue depuis sa naissance. Il vit reclus et conserve le corps de sa femme décédée suite à la naissance de sa fille. Le retour de celle-ci va déclencher la vengeance de la mère morte-vivante, qui élimine père et fille qu’elle juge responsables de sa mort. The Black Cat raconte ensuite l’histoire de Montrésor Herringbone (!), un ivrogne violent joué par Peter Lorre, qui parvient presque, grâce à son physique
débonnaire, à donner un air sympathique à ce mauvais homme. Herringbone harcèle chaque jour sa femme pour lui soutirer de quoi aller boire et il déteste le chat noir de la maison. Il fait la connaissance de Fortunato Lucrecia, un expert en vins incarné par Vincent Price, lors d’une convention de marchands à laquelle il parvient à se faufiler pour boire gratis. Fortunato le raccompagne chez lui à la fin de la soirée et rencontre alors l’épouse Annabel (Joyce Jameson). Évidemment les deux deviennent amants et se voient chaque jour pendant que Herringbone s’enivre. Celui-ci finit par flairer l’entourloupe quand il se rend compte que depuis le fameux jour de la convention des amateurs de vin, sa femme ne rechigne plus à lui donner son argent de poche du soir pour qu’il débarrasse le plancher. Il finit par éliminer femme et amant en les emmurant vivants—une thématique récurrente chez Poe ! — mais est percé à jour après avoir trop parlé à un tenancier de bar. Des policiers arrivent chez lui pour s’enquérir de sa femme, et entre deux hallucinations de delirium tremens, Herringbone et les policiers entendent miauler derrière le mur ! C’est le chat noir abhorré, piégé lui aussi derrière la cloison, qui cause finalement la perte de l’ivrogne. Dans la nouvelle de Poe, on ne retrouve pas d’histoire de vin ni le personnage de Fortunato, et c’est le chat lui-même qui pousse le mari au meurtre impulsif de sa femme. Dans la dernière partie du film, intitulée The Case of Mr Valdemar, Vincent Price incarne un riche vieillard, Valdemar, marié à Helene (Debra Paget), une jeune et belle épouse. Malade, Valdemar à recours à un hypnotiseur pour soulager ses douleurs. Ce dernier est incarné par Basil Rathbone, un grand ami de Vincent et fameux interprète de Sherlock Holmes dans les années 1940. Carmichael l’hypnotiseur ne demande rien en paiement, sauf de pouvoir mettre Valdemar en état d’hypnose quand celui-ci rendra son dernier souffle afin d’obtenir des informations sur l’au-delà. À la mort de Valdemar, l’opération fonctionne et si le corps du vieil homme meurt, son esprit reste présent et prisonnier de la volonté de Carmichael. Malgré les supplications de l’épouse et de l’esprit de Valdemar, l’hypnotiseur exige de plus en plus et refuse de libérer l’homme. Il finit par s’en prendre à Helene afin de la forcer à l’épo, et c’est à ce moment qu’un Valdemar putréfié finit par se lever de son lit et régler son compte au maître-chanteur. Dans ce film, Vincent collabore avec ses deux amis Peter Lorre et Basil Rathbone, deux caractères aux styles très différents. Peter Lorre est un maître de l’improvisation et ne cesse d’ajouter des lignes à son texte lors des prises, tandis que Basil Rathbone, formé au théâtre classique, est plutôt à l’opposé. Rathbone avait déjà travaillé avec Vincent en 1939 pour Tower of London, et avec cette fois un rôle de vilain, il espère casser le moule qui lui
semble l’avoir enfermé dans son personnage de Sherlock Holmes. Le film rapporte un million et demi de dollars, ce qui est moins que les deux précédents, mais bien suffisant pour motiver la production du film suivant. Dans celui-ci, Corman va à nouveau employer d’anciennes gloires du cinéma fantastique, puisqu’on retrouve Peter Lorre dans The Raven aux côtés de Boris Karloff, que l’on voyait plus sur les planches que sur grand écran à cette époque. Karloff est aussi un ami de Vincent et Hazel Court, une proche du couple Price, fait partie du casting. Le tournage de cette histoire supposément horrifique est contaminé par la bonne humeur collective et le résultat est une sorte de comédie plutôt plaisante bien que l’intrigue soit vraiment ténue. Il faut dire que Richard Matheson a encore dû se démener pour écrire un scénario de long-métrage en se basant sur un bref poème de Poe où un homme se morfond de son amour disparu dans son bureau tandis qu’un corbeau frappe à la fenêtre ! On retrouve également au casting le tout jeune Jack Nicholson, qui en coulisses se fait chambrer par Vincent et Peter Lorre sur le piston qui lui aurait permis d’avoir le rôle, même s’il leur répète qu’il n’y aucun lien de parenté entre lui et le producteur d’AIP ! Le seul moment où Vincent ne s’ama guère est le tournage d’une scène avec des serpents plutôt imposants qui s’enroulent autour de son cou ! Le film est le plus coûteux de la série avec un budget de 350 000 dollars, mais il en rapportera tout de même plus d’un million. Corman réussira même à garder Karloff quelques semaines de plus pour enchaîner avec le tournage de The Terror, alors que Vincent a déjà filé. En fin négociateur, le réalisateur obtiendra aussi du scénariste Matheson un autre script qui lui servira pour A Comedy of Terror. Enfin dans le pur style Corman, on retrouve recyclé à la fin du film le plan d’incendie de maison de La Chute de la Maison Usher ! Les deux films suivants seront tournés en Angleterre, où la location du studio et des décors est beaucoup moins chère qu’aux États-Unis. Vincent est ravi de retourner travailler pour la première fois là où il a démarré au théâtre. The Mask of the Red Death est le premier des deux films, tourné en 1963. Recyclant des décors usagés de films anglais qu’il n’aurait jamais pu s’offrir, Corman réalise un film d’époque où le décadent Prince Prospero, un adorateur de Satan incarné par Price, voit son peuple décimé par la maladie. Lors d’un bal costumé fantasmagorique, la mort elle-même vient cueillir les invités pour finir par Vincent qui avant de mourir arrache le masque de la Mort en rouge et révèle, dans un élan dramatique digne de Werner Herzog, son propre visage. Un peu plus sérieux que les précédents et peut-être un peu plus intellectuel, si le terme peut convenir, le film connaît un succès moindre même si la critique est conquise. Le dernier film du cycle Poe est The Tomb of Ligeia, qui fut le mieux
accueilli par la presse. Tourné en Angleterre en 1964, on y retrouve un Vincent Price transformé en Verden Fell aux cheveux noirs, rasé de près et portant de grosses lunettes noires rectangulaires qui protégent ses yeux du soleil. Il incarne une fois de plus un châtelain, qui va épo sa belle voisine (Elisabeth Shepherd) qui ressemble comme deux gouttes d’eau à sa défunte épouse. Prisonnier d’un sortilège, Verden Fell est forcé de conserver cette dernière dans une chambre du château à partir de laquelle l’épouse et son chat noir hantent le couple de jeunes mariés. La romance, la seule de la série de films, va évidemment tourner court. Ces deux derniers tournages donnent l’occasion à Vincent de parcourir à nouveau les galeries d’art et de chiner dans Londres et les villes anglaises. Il peut y dépenser l’argent qu’AIP a misé sur lui et qui s’avère avoir été un pari gagnant au vu du succès de la série. Celle-ci s’arrête tout de même là, après huit films, à cause de la lassitude de Corman selon lui, qui souhaite er maintenant à autre chose. Ce sera aussi la dernière collaboration entre Vincent et Peter Lorre, qui s’éteint le 23 mars 1964. Second rôle dans des dizaines de films depuis son succès dans le rôle principal du film M le Maudit de Fritz Lang en 1931, Lorre souffrait de la vésicule biliaire depuis des dizaines d’années ainsi que d’une consécutive dépendance à la morphine. Il succombe à un accident vasculaire cérébral et est enterré au Hollywood Memorial Cemetary, où Vincent Price prononce son oraison funèbre. C’est une légende du cinéma de la première moitié du XXème siècle qui disparaît, même si son visage rond reste dans les mémoires, notamment grâce à Tim Burton qui s’en inspire pour son ver vert dans le film Les Noces Funèbres.
X Sears, l’art et Victoria
Avec cette série Poe, Vincent Price est étiqueté « Maître de la Terreur » aux yeux du public, un titre qu’il assume sans aigreur car il trouve dans sa ion pour l’art un domaine où il peut s’épanouir davantage intellectuellement. En effet, si Vincent est mondialement connu pour ses rôles d’épouvante, il s’établit dans le même temps comme une référence incontournable du monde de l’art aux USA. Il entre tout d’abord au conseil du Indian Arts and Crafts Board, une structure gouvernementale regroupant des experts du domaine pour la promotion de l’art natif américain. Vincent y e trois mandats de cinq ans, dont le dernier en tant que président du conseil. Sa notoriété publique est un grand atout pour l’organisation de conférences, ainsi que pour la création de fonds et de collections pour cet art peu voire pas considéré à l’époque. Price prend son rôle à cœur et donne de nombreuses conférences dans le cadre de cette structure non partisane qui sera soutenue par plusieurs présidents successifs. Le journal Native American Arts est aussi fondé à cette période, et Vincent y participe de même qu’à différents ouvrages sur la culture et l’art indiens. Les différents fonds créés par l’acteur se trouvent maintenant à la Smithonian Foundation de New York. Au même moment, au début des années soixante, débute ce qui sera sans doute plus grand chantier de Vincent pour la promotion de l’art auprès du public américain : sa collaboration avec la chaîne de grands magasins Sears Robuck. Le vice-président du merchandising George Struthers, un collectionneur d’art comme Vincent, souhaite développer le concept de vendre de l’art dans tous ses établissements. Tandis que Mary s’effraie au départ devant ce projet pharaonique, Vincent relève le défi de fournir cent à cent cinquante pièces d’art originales, dessins, esquisses, pour chacun des dix principaux magasins de la chaîne des grandes villes américaines. Après d’âpres négociations, il obtient un chèque en blanc de la société pour pouvoir aller prospecter et acheter en toute liberté des œuvres aux nouveaux talents américains. Il n’aura de cesse dans les décennies suivantes de poursuivre son œuvre de collectionneur pour lui-même et pour ce mécène hors du commun lors de ses déplacements autour du monde. C’est un travail de titan pour Vincent qui recrute toute la maisonnée pour l’aider à sélectionner, assembler, encadrer de façon adéquate les œuvres. Tout cela se déroule dans la grande résidence de Beverly Glen, dont la cave est aménagée en réserve de musée et atelier d’encadrement par Mary. Si beaucoup de media se
gaussent de l’entreprise de Sears et de Price à ses débuts, le succès de l’opération va conduire le monde de l’art à réviser ses a priori sur cette forme de distribution. Les œuvres sont en général écoulées aux premiers jours d’exposition, pour des prix démarrant à dix dollars. Vincent y fait figurer des esquisses de Rembrandt ou Dürer qu’il aime tant et qui lui rappellent ses propres débuts de collectionneur désargenté. On verra aussi Dali lui-même au magasin Sears du New Jersey, pour présenter une peinture qui sera vendue pour 25 000 dollars, le plus haut prix de la collection jamais fixé ! Vincent Price fait la couverture du magazine Parade pour le lancement de la collection Sears, et va donner nombre d’interviews sur cette aventure qui le ionne et qui le montre enfin sans cape ni maquillage sanglant ! En avril 1962, Price reçoit une lettre d’un ancien compagnon de Yale, James Fosburgh, qui lui propose tout bonnement de venir mettre son expertise au service du comité artistique de la Maison Blanche. De grands travaux de rénovation y ont été démarrés—Truman ne résidait même plus sur place car des morceaux de plancher s’effondraient ! — et le nouvel aménagement de la demeure présidentielle a été confié à ce comité par les Kennedy. C’est Mme Kennedy qui préside au comité et elle souhaite que la Maison Blanche se dote d’un fonds de collection à l’aune du rayonnement politique des USA. Vincent accepte fièrement l’offre et va être très actif, notamment pour solliciter les donateurs—40 000 dollars seront offerts par Sears — ainsi qu’en faisant personnellement don d’une œuvre, une petite peinture à l’huile d’un ciel orageux par Albert Bierstadt, qui finira au pied du lit du président ! Vincent et Mary peuvent donc avoir le plaisir de côtoyer la plus célèbre des premières dames, notamment au théâtre, et le comédien sera affligé par la mort soudaine de JFK alors qu’il se trouve sur le tournage de The Mask of Red Death en Angleterre. Il poursuivra néanmoins son travail pour la Maison Blanche avec le président suivant. En juin 1958, Vincent Barrett Price a quant à lui terminé le lycée et choisi de redre l’université du Nouveau-Mexique à Albuquerque. Il va s’établir durablement dans la ville puisqu’il réside encore aujourd’hui dans la région et y poursuit sa carrière d’écrivain et journaliste ionné par le Sud-Ouest des États-Unis. L’été 1961, il garde la demeure des Price, où il s’occupe aussi de Mortimer, le frère aîné de Vincent gravement malade qui est venu profiter du climat californien, tandis que Vincent et Mary sont en tournage en Italie. C’est l’époque de la Bella Vita italienne et Rome est remplie d’américains venus s’installer pour profiter de la Ville Éternelle. En vrais baroudeurs, Vincent et
Mary n’entendent pas du tout se dre à la masse des expatriés et s’installent dans un quartier à l’écart. Ils vont profiter pendant six mois de la ville et ne fréquentent que quelques-uns de leurs compatriotes, notamment le couple Jaffe avec lequel ils se lient d’amitié. Ils fêtent les cinquante ans de Vincent à Rome, de même que les vingt-et-un ans de Barrett qui les ret en août. Ils séjournent ensuite tous les trois à Paris pour quelques semaines, leur premier séjour à l’étranger ensemble, mais Mary n’est pas en très grande forme depuis quelques semaines et à son grand désespoir ne e pas la cuisine française ni la cuisine asiatique dont les Price raffolent habituellement. Vincent et Mary découvrent alors qu’elle est enceinte de la petite Victoria qui naîtra le 27 avril 1962. À peine quelques mois plus tard, c’est le jeune Barrett et sa femme Sandy Greenwald qui accueillent leur premier enfant Jody, qui sera suivie de son frère Keir l’année suivante. Pour l’hyperactive Mary, devenir mère à quarante-cinq ans et grand-mère la même année ne sera pas chose facile, et elle souffre de cette situation sans que Vincent réussisse vraiment à la comprendre. Il faut dire que Victoria, adorée par ses parents, n’était pas vraiment attendue et aura 22 ans d’écart avec son frère. De plus, si Vincent et Mary avaient songé à l’adoption dans les années cinquante, ils avaient ensuite abandonné l’idée sans regret avec le retour chez eux de Barrett. Pour ne rien arranger, les années soixante sont extrêmement occupées pour Vincent par le cinéma avec les tournages pour AIP, mais aussi par la fondation Sears et ses autres activités liées à l’art. Heureusement pour la jeune Victoria, elle est tout de même très entourée au quotidien avec la présence de Hank Millam et Harry Mullen, ainsi que de la gouvernante du moment. Mary veillera toujours à ce que Victoria soit chérie et s’adonne à toutes sortes d’activités, entre leur maison de Beverly Hills et la maison de la plage. Comme si cela ne suffisait pas à remplir son agenda, Vincent va ajouter l’écriture à ses activités, ou en tout cas celle-ci va prendre une part plus importante de son temps. Il écrit avec Mary un bon nombre d’ouvrages, commençant avec The Michelangelo Bible qui se veut être une Bible que l’on garde sur la table comme une œuvre d’art, ou encore The Book of Joe, un livre sur sa relation avec son chien Joe, qui lui apporte encore de nouveaux fans parmi les amis des animaux. Au vu du succès de The Michelangelo Bible, Vincent et Mary proposent à Sears de compiler un livre de recettes, un de leur sujet de prédilection. C’est ainsi que naît A Treasure of Great Recipes, qui rassemble des recettes de différents restaurants que les Price ont visité en Europe ou aux USA, revisitées à la manière du couple. Le livre est un grand succès et se vend à plus
de 50 000 exemplaires. Il vaut à Vincent une nouvelle flopée d’invitations pour des émissions TV, radio ou encore des campagnes publicitaires. La réputation d’hôtes exceptionnels du couple Price n’en devient que plus fameuse ! Price est nommé en 1965 « Ambassadeur International des Vins de Californie », et en 1967, il est invité à fonder The American Food and Wine Institute, qui est aujourd’hui une institution. Le « Candy Kid » de Saint-Louis, comme on le surnommait à l’époque où il gambadait dans l’usine de bonbons de son père, a donc fait honneur à sa lignée de gourmets ! Pour ce qui est de l’art, Vincent est invité à tenir une colonne dédiée dans l’édition dominicale du Chicago Tribune. Ce sera pour lui un grand plaisir au fil des années, et il essaye à travers un style simple mais raffiné de donner envie à ses lecteurs de s’intéresser à ce qui se e autour d’eux, et en particulier à apprendre à apprécier l’art, qui n’est pas si loin que cela de nos vies quotidiennes et peut y apporter beaucoup de bonheur. Vu l’ampleur que prend l’entreprise familiale, Vincent décide de fonder la Vincent Price Entreprises pour pouvoir gérer et garder le contrôle de sa collaboration avec Sears. Il est accompagné de Harry Sundheim, un collectionneur d’impressionnistes de Chicago, de son agent Lester Salkow et de Jeffrey Loria, un jeune diplômé de Yale qui devient les yeux de Vincent sur la côte Est. À Los Angeles, c’est Hank Milam qui aide Vincent à gérer les affaires, mais il faut maintenant que Vincent se trouve une secrétaire car le travail les submerge. Ils trouvent la perle rare avec Wawona Hartwig, qui s’installe dans un bâtiment de la propriété du 580 Beverly Glen dédié à Vincent Price Entreprises. En 1964, les affaires continuent à prospérer et Wawona, qui gère en fait à peu près tout l’emploi du temps de Vincent, sera adte d’une assistante. Toute cette structure devient essentielle car George Suthers veut lancer un nouveau programme pour Sears, National Treasures, qui mettra en vente des reproductions en série limitée d’objets d’intérieur de différentes époques des États-Unis, depuis les temps des colons et du dix-septième siècle jusqu’à l’époque victorienne et la fin du dix-neuvième. Vincent intensifie donc encore ses expéditions sur la côte ouest pour dénicher ses œuvres, restant souvent caché dans son camping-car le temps que ses collègues concluent de bonnes affaires, avant de faire son apparition pour signer la vente pour Sears à visage découvert. À cette époque Price devient littéralement le plus grand mécène d’art aux USA et en Europe depuis les Médicis, estimant avoir acheté sans doute pour près d’un million de dollars d’œuvre pour Sears. La gamme National Treasures plaît énormément au public, et Vincent en profite pour y addre un livre de recettes basées sur l’histoire américaine, le National Treasures Cookbook. En 1965, l’association Price-Sears est son apogée. Elle va
décliner soudainement en 1966 à la mort du ionné Suthers, qui va entraîner une reprise en main du projet par les services commerciaux de Sears. L’ambiance change alors dramatiquement au grand dam de Mary et Vincent, et Mary quitte le projet dès 1966 suite à la décision de faire encadrer les œuvres à moindre coût et moindre qualité. Vincent restera pour sa part associé avec Sears jusqu’au début des années soixante-dix, mais il se lasse et abandonne progressivement cette nouvelle version des collections. Le virage vers la rentabilité plus que vers l’éducation des masses à l’art le rebute, et Sears ne considère plus le comédien que comme un faire-valoir de luxe dans leur campagnes publicitaires.
XI Les années soixante à plein régime
Au cinéma, les années soixante voient se poursuivre l’association réussie de Vincent Price avec les studios AIP. Dès 1960, Vincent tourne Master of the world, sans Corman mais avec une équipe très similaire à celle de House of Wax. Ce film d’aventures se revendique d’inspiration de deux romans de Jules Verne, et le comédien y retrouve Charles Bronson, au caractère plus épais que jamais, que même l’humour de Vincent ne parvient pas à dérider. Le film a un rendu assez « cheap » —car le genre est sans doute plus ambitieux que le film de château gothique et notamment de nombreuses scènes en dirigeable, — mais il rapporte suffisamment d’argent, environ deux millions de dollars. En 1963, Vincent tourne à Rome The Last Man on Earth, une production américaine basée sur la nouvelle I Am Legend de Richard Matheson, où il campe le dernier survivant d’un humanité décimée et zombifiée par un virus mystérieux. Le film fonctionne bien en salles, et la version de 1971 avec Charlton Heston (The Omega Man) sera un plus grand succès encore. Une autre adaptation avec Will Smith dans le rôle principal sort d’ailleurs en 2007 sous le titre original I am Legend. Le cycle Poe et son contrat exclusif avec AIP sont alors terminés, Vincent se met à collaborer avec d’autres, dans le but de surfer sur la vague de ses succès dans le film de genre. En 1961, il travaille d’abord pour Allied Artists sur Convicts 4, un film basé sur la vie de John Resko (joué par Ben Gazzara), où il tient un petit rôle de critique d’art venu rendre visite à ce détenu qui se tente de se réhabiliter à travers la peinture. Il tourne ensuite un second film avec la même compagnie, Confessions of an Opium Eater, où Price joue le rôle de Gil de Quincey, infiltré dans les réseaux de trafic de femmes et d’opium à San Francisco. Le sujet sensible et le manque de subtilité du script tiré du récit de de Quincey entraîne à la sortie du film en 1962 une vive réaction des associations de défense contre le racisme anti-chinois, qui sont suivies par les critiques qui finissent d’enterrer le film. Au cours de l’année suivante, Price signe pour trois films produits par iral Pictures et United Artists. Il s’agit tout d’abord d’un film d’époque narrant le destin tragique du roi Richard III d’Angleterre, intitulé Tower of London, comme le film de 1939. Le film est médiocre mais profite de la mode des films d’horreur pour surnager. Le deuxième film est une adaptation du Horla de Mauant, Diary of a Man, un film aussi assez faible où Vincent incarne
un magistrat français qui perd la raison et finit par périr après avoir mis le feu à sa demeure. En réalité, rien de très inhabituel pour un film de Vincent Price ! Enfin, Twice-Told Tales se veut lui aussi une adaptation, cette fois de l’œuvre de Nathaniel Hawthorne qui malheureusement, comme le déplorera la critique, n’est pas vraiment un auteur gothique. Vincent aura beau s’employer pour porter le film, la sauce ne prend pas. Malgré cette série peu glorieuse, Vincent ne rechigne pas à la tâche car il travaille près de chez lui, ce qui compte tenu des durées courtes des tournages lui laisse beaucoup de temps libre. La mode des films d’horreur assure de son côté le succès, au moins commercial, des films. Pour les fans d’alors— et de maintenant—, c’est aussi toujours une occasion supplémentaire de voir la grande silhouette de Vincent déambuler dans ces films improbables. En 1964, le comédien signe un nouveau contrat avec AIP, mais cette fois les studios doivent faire un effort financier supplémentaire pour s’attacher Vincent, qui est désormais en position de force dans les négociations. Il signe d’ailleurs ce contrat juste à temps, on pourrait dire, car la mode des films d’horreur s’essouffle dans les années suivantes, et AIP va changer de créneau pour celui plus juteux des films pour adolescents. Le studio produit toujours ses films avec un budget ridicule et des durées de tournage à l’avenant, mettant en scène des chanteurs à la mode tel « Fabian », ou diverses starlettes dans des films dits « de plage ». Vincent se démoralise petit à petit sur cette série de films à laquelle il est tenu par contrat de participer. Maintenant dans la cinquantaine, il ne fait souvent qu’acte de présence dans ces films de jeunes, comme pour un rôle du gourou en chemisette dans Beach Party. D’autres films plus comiques tels que Dr Goldfoot and the Bikini Machine lui donne au moins l’occasion de pratiquer des mimiques moins effrayantes qu’à l’habitude. Fin 1964, il va tourner War-Gods of the Deep, un film d’aventure assez moyen, très inspiré par le Voyage au Centre de la Terre de Jules Verne et réalisé par Jacques Tourneur, un pionnier français du film fantastique. Tourneur a fait la plus grande partie de sa carrière aux USA, tournant des films devenus des classiques tels que The Cat People, Vaudou, ou encore participant à des séries comme Bonanza ou la Quatrième Dimension. Le tournage de War-Gods of the Deep se e à Londres, ce qui permet à Vincent de faire des emplettes pour la collection Sears. Il se rend aussi en Espagne pour le tournage de House of the Thousand Dolls, où il finit par se rendre compte avec horreur qu’après leur journée de tournage, une autre équipe prend le relais dans les mêmes décors, pour filmer une version érotique du film ! Ce contrat avec AIP n’est donc vraiment pas satisfaisant pour Vincent, qui sent qu’il est peut-être temps de er à autre chose. L’acteur apparait toujours beaucoup à la
télévision, notamment dans la série Batman dans le rôle du méchant Egghead, un génie du mal chauve et friand de jeux de mots impliquant des œufs, qui apparait dans quelques épisodes et qui reste l’un des seuls vilains à avoir percé à jour l’identité du super-héros ! Il apparait aussi dans de nombreuses autres séries à succès de l’époque, souvent avec un clin d’œil à sa carrière dans le cinéma fantastique. En 1967, on le retrouve au Far-West dans la série F-Troop, où il incarne un nouvel arrivant, en provenance directe de Transylvanie ! Véritable guest star de ces productions, on le retrouve dans la saison 3 de Columbo, ainsi que dans Love Boat (La Croisière s’amuse), dans l’épisode Ship of Ghouls en 1978, entre autres. Même si Vincent s’amuse sur ces tournages, il trouve plutôt son bonheur dans son activité grandissante dans le milieu de l’art. Il se réserve deux mois par an pour partir en tournée à travers les États-Unis, souvent en solo, pour donner des conférences sur l’art et son expérience personnelle et tente aussi de revenir vers le théâtre. Il joue de malchance sur un projet de pièce dans lequel il croyait beaucoup, Darling of the Day, adaptée du roman Buried Alive d’Arnold Bennett. La pièce pâtit de nombreux changements dans la mise en scène à quelques semaines de la première, et si à Broadway la critique se fait plus tendre au fil des semaines, c’est déjà trop tard pour sauver la pièce. Le démarrage a été un flop, les producteurs ont perdu énormément d’argent et la pièce s’arrête après un peu plus d’une trentaine de représentations au début de l’année 1968. C’est un coup dur pour Vincent qui espérait à l’approche de la soixantaine que Broadway lui mettrait un peu de baume au cœur. Il sent bien que le pic de sa carrière de comédien est é, mais il garde le moral car ses autres activités l’occupent toujours beaucoup et il est plus populaire que jamais. Toujours inquiet de ce que le futur pourrait lui réserver, Vincent et la famille déménagent dans une plus petite maison à Beverly Glen. Dans cette période troublée où la violence fait rage à Los Angeles et que le sinistre Charles Manson et ses adeptes sévissent, la maison de la plage est saccagée, et le couple se voit par ailleurs forcé de congédier Harry Mullen, dont les dettes de jeu ont ruiné la confiance de Vincent et Mary qui l’ont remis à flots une fois de trop pour que leur amitié perdure. Seule Wawona Hartwig demeure la secrétaire de Vincent et gère son planning toujours bien rempli. Son fils Vincent Barrett Price divorce quant à lui pour se remarier avec l’artiste Rini et poursuivre sa carrière d’écrivain et poète à Albuquerque. Il rend visite à ses parents aussi souvent qu’il le peut, et e beaucoup de temps chez eux pendant que son divorce se règle. Tout comme son père auparavant, il n’obtiendra pas la garde de ses deux enfants. La deuxième cérémonie de mariage de Barrett sera la première et dernière rencontre entre Mary Price et Edith Barrett, la première épouse de Vincent, qui a fait le déplacement de Santa Monica où elle réside depuis 1947. Elle y demeure
jusqu’en 1976 et déménage ensuite à Albuquerque où elle s’éteint le 22 février 1977. Côté cinéma, AIP a obtenu en 1967 les droits d’un nouveau roman et propose un script un peu plus solide qu’à l’accoutumée à Vincent. Il s’agit de Witchfinder General, que Vincent part tourner à Londres en septembre. Le film est intéressant, mais Vincent et le réalisateur Michael Reeves se détestent cordialement et l’acteur doit en outre se plier à un exercice qu’il abhorre : enchaîner les scènes à cheval, dont il fera une chute évidemment pour ne rien lui épargner. Le film reçoit finalement de bonnes critiques et rapporte des bénéfices au studio. Vincent, pas rancunier, enverra même un message de félicitations à Reeves après avoir vu le résultat final. Le studio AIP, qui pense toujours pouvoir grappiller quelques entrées de plus, ne peut s’empêcher pour la sortie américaine de « Poe-ifier » le titre en Conqueror Worm, le titre d’un poème du maître du fantastique. En novembre 1968, Vincent et Reeves sont censés de nouveau préparer leur recette explosive, avec cette fois un scenario moins abouti, pour The Oblong Box. Reeves sera finalement remplacé au pied levé par Gordon Hessler, et malheureusement le jeune et talentueux mais tourmenté Reeves meurt peu de temps après. Le film est quant à lui un relatif échec, mais pas pour Vincent qui a fait la connaissance à cette occasion d’un autre futur maître de la terreur qu’il ire et qui deviendra un ami proche, Christopher Lee. Il retrouve Lee et Hessler pour un autre film en Angleterre, Scream and Scream Again, où il rencontre Peter Cushing, une autre icône du film fantastique. L’action du film se déroule pour une fois à une époque contemporaine, et Vincent Price en savant fou tente de créer une race de super-humains. Le film est un succès auprès des jeunes, même si aux yeux de Vincent il n’a aucun intérêt, à part celui de lui avoir permis de er du temps dans son Londres qu’il adore. Hessler lui-même se rend bien compte de la faiblesse des scénarios que l’on propose à Vincent, mais ire son professionnalisme. Pour le dernier film de ce contrat avec AIP, Hessler et Vincent tournent Cry of the Banshee, un film à nouveau très faible, mais qui marque le retour d’une star du cinéma allemand, Elisabeth Bergner, dans le rôle d’une revenante ! Vincent est alors soulagé d’en avoir enfin fini avec les plus que médiocres films AIP, même si Sam Arkoff aurait bien aimé renouveler à nouveau le contrat de son champion. Vincent cherche donc à voir ailleurs si les scénarios sont meilleurs et il veut trouver si possible des opportunités en dehors du secteur du film d’horreur. Il tourne en Afrique du Sud The Jackals, un western où il joue le rôle d’un grand-père qui veut protéger sa petite fille contre des bandits. Le film lui permet de découvrir le
pays et de nombreux d’artistes locaux. En 1967, More Dead Than Alive est un autre western sans grande saveur où Vincent finit par mourir dans un bain de sang, criblé de balles… The Trouble With Girls est tourné en 1968 et Vincent y partage l’écran avec Elvis Presley, même si les deux hommes ne se croiseront jamais sur le tournage. Peu convaincu par ses expériences loin d’AIP, Vincent finit par se réconcilier avec Arkoff et signe un nouveau contrat à l’aube des années soixante-dix. Vincent s’embarque donc une nouvelle fois pour l’Angleterre, cette fois pour le tournage de The Abominable Dr Phibes. L’intrigue se déroule dans un 1929 très relooké seventies, sous la direction artistique de Robert Fuest. Sa touche donne à ce film et aux suivants un visuel définitivement plus moderne que les autres films d’AIP. L’intrigue voit le Dr Phibes, défiguré et laissé pour mort après un accident de voiture, revenir se venger des médecins qui ont selon lui causé la mort de sa femme. Le style du film est profondément influencé par les techniques de maquillage récentes et Vincent se voit affublé d’un masque de cire factice qui lui prend plusieurs heures de maquillage par jour. À cinquante-neuf ans, Vincent trouve dans ce tournage un bol d’air frais grâce à sa rencontre avec Fuest qu’il trouve complètement déjanté. Le film rencontre un bon succès et AIP se précipite pour monter le tournage d’une suite. C’est donc pour le tournage de Dr Phibes Returns à la fin de 1972 que Vincent se rend pour la dernière fois dans les studios d’AIP à Londres et en Espagne. Dans ce film un peu bâclé, Phibes doit affronter sa Némésis Darius Biederbeck, joué par Robert Quarry, un autre acteur habitué aux rôles de méchants. L’ambiance sur le tournage va vite se refroidir entre Price et Quarry quand un journaliste annonce à Vincent en plein cocktail que les studios AIP voit en Quarry son remplaçant ! Même si les choses sont clarifiées par la suite, c’est aussi sans doute une réalité qui est dure à avaler pour Vincent. Son contrat avec le studio se termine, et avec la fin de ses activités d’acheteur pour Sears, c’est un Vincent Price plus inquiet que jamais qui arrive dans les années soixante-dix. Sears l’exploite sans guère de ménagement dans des publicités pour toutes sortes d’équipement de maison, ce qui le frustre au plus haut point, mais Vincent ne parvient pas à se résoudre à les envoyer balader. Les Price finissent par se séparer à contre cœur de Wawona Hartig, qui n’aura plus grand-chose à gérer une fois Sears hors du cadre. Vincent et Mary continuent cependant de leur côté leurs activités de création, avec notamment une nouvelle mouture de leur livre de cuisine, Come into the kitchen, ou encore un projet très cher au cœur de Vincent et sur lequel il travaille avec Barrett, The Vincent Price Treasury of American Art. Il y compile ses coups de cœur sous forme d’hommage aux grands artistes hommes et femmes, modernes et
classiques. Vincent demeure aussi un personnage omniprésent des talk-shows télévisés comme The Ed Sullivan Show ou le Tonight Show de Johnny Carson grâce à son style inimitable, sa culture et son humour. Il souffre d’entendre régulièrement en interview qu’il aurait fait bon nombre de ses films seulement pour l’argent, ou que les films de genre sont un cinéma de bas étage. Lui qui a toujours mis un point d’honneur à être le plus professionnel dans chacun de ses films à force de travail rigoureux, et qui parfois y amenait du second degré par son talent, ne e pas qu’on lui refuse le respect que l’on accorde aux autres acteurs, même si ses interlocuteurs ont simplement souvent la bonne intention de le complimenter sur ses autres réussites professionnelles. Price n’a jamais nié avoir fait des films de genre pour subvenir aux besoins de sa famille, pour voyager et er du bon temps sur les tournages, mais il fut souvent blessé par les jugements sévères de ses interlocuteurs, venant parfois même d’amis proches. Afin d’exorciser cela d’une certaine façon, il va monter une conférence autobiographique, The villain still pursues me— Le méchant qui me colle à la peau—, dans lequel il développe ses réflexions sur les stéréotypes produits par Hollywood qui sont difficiles à assumer par les comédiens et à faire évoluer. Il part en tournée comme il l’aime dans tous les États-Unis pendant les années suivantes pour présenter cette conférence. Il défend aussi l’idée que les films de genre ne sont pas nocifs pour la jeunesse, idée répandue à l’époque, mais qu’ils peuvent servir de catharsis et permettre à chacun d’évacuer les peurs accumulées sous la forme d’un cri dans une salle obscure ! Ses nombreux fans ont déjà bien compris cette leçon et apprécient d’autant plus de voir le visage doux et la voix suave de Vincent dans des situations horribles ou grotesques. Et comme Vincent aimait à citer Dom Juan : « Tout le monde sait que le diable est un gentleman ».
XII La retraite ?
Contrairement à ce que son rythme de travail un peu moins effréné pourrait laisser présager, point de retraite tranquille à l’horizon pour Vincent Price. En effet en 1972, son ami le producteur Sam Jaffe propose à Vincent un scénario plutôt intéressant, accompagné d’une brochette de seconds rôles d’un niveau qu’il n’avait plus rencontré depuis l’époque des Karloff et Lorre, selon ses dires. Jaffe a réuni ce petit monde pour Theater of Blood. Cerise sur le gâteau, Vincent va pouvoir dépoussiérer son Shakespeare, car il joue le rôle d’un metteur en scène de théâtre classique à Londres, laissé pour mort et qui revient se venger des critiques qui l’avaient assassiné au sens figuré de son vivant. La mise en scène, les costumes et les maquillages sont délirants, très marqués par la mode des années soixante-dix, et amplifient encore la folie d’Edward Lionheart (Vincent Price), qui met en scène la mort de ses ennemis lors de représentations secrètes des pièces qu’ils ont le plus descendues. À ses côtés sévit sa fille, jouée par la superbe Diana Rigg, actrice classique shakespearienne au début d’une grande carrière au théâtre et à la télévision, qui la mènera du théâtre classique aux rôles d’Emma Peel dans Chapeau Melon et Bottes de Cuir ou encore de Lady Tyrell dans Game of Thrones ! De grands acteurs anglais de l’époque interprètent les critiques qui seront les victimes de Vincent, et parmi eux se trouve Coral Browne, une actrice d’une soixantaine d’années qui va venir bouleverser le monde de Vincent Price. Coral est une femme au caractère trempé et qui n’a pas sa langue dans sa poche, venue de son Australie natale pour faire carrière au théâtre à Londres. Elle y a plutôt bien réussi et a une réputation de croqueuse d’hommes qui obtient toujours ce qu’elle veut, en tout cas jusqu’à son mariage avec Philip Pearman. Pearman est son agent et aussi un acteur, et en dépit de son homosexualité assumée leur mariage dure jusqu’à sa mort en 1964. Browne est alors dévastée et met un long moment à s’en remettre. Si elle continue à avoir du succès au théâtre, elle adopte un style de vie radicalement différent, vendant toute sa collection d’antiquités pour adopter un style seventies à base de design épuré et plastiques en tout genre. À sa rencontre avec Vincent, c’est le coup de foudre. C’est Diana Rigg qui jouera l’entremetteuse, chacun des deux s’étant ouvert à elle de son intérêt pour l’autre. Rigg regrettera ensuite d’avoir encouragé Price à inviter Brown à sortir, car celui-ci n’avait pas jugé utile de préciser qu’il était marié et avait une petite fille !
Les deux amants se vouent une ion débridée et sur le plateau, où chacun sourit en les voyant arriver tout ébouriffés et le sourire aux lèvres pour les prises. Vincent retourne à L.A. à la fin du tournage, ce qui renvoie Coral au fond du gouffre. Price n’est cependant pas du genre à avoir cédé pour une ade, et il reste en avec elle par des appels téléphoniques quotidiens et des lettres enfiévrées. Le comédien revient d’ailleurs peu après à Londres pour le doublage des voix du film d’animation Nasrudin de Richard Williams, qui sera ensuite retravaillé pour une version plus aboutie en 1993, The Thief and The Cobbler, toujours avec Vincent Price au casting. Evidemment Vincent déserte sa chambre d’hôtel londonienne pour er la plupart de ses nuits chez Coral ! Lorsqu’il finit par revenir aux États-Unis, Mary est furieuse de ne pas avoir réussi à dre son mari sans qu’il puisse, ou veuille, donner d’explication valable. Dans la dispute, elle lui jette une menace de divorce au visage et à sa grande surprise, Vincent relève le gant. Voilà donc Vincent reparti pour une séparation, qui cette fois, va bien se er, en tout cas mieux que la précédente… Les Price vendent au rabais le 580 Beverly Glen, dans une précipitation pour laquelle le comédien s’exca par la suite auprès de son ex-femme. Mary prend un appartement à Calabasa Park tandis que Vincent va habiter la maison sur la plage à Nicholas Beach, qu’il a toujours adorée. Barrett est furieux d’apprendre la nouvelle, même si Vincent réussit à cacher pendant très longtemps qu’il a déjà une maîtresse et qu’elle est la cause de ce divorce. Cette ion amoureuse va aussi éloigner Vincent de beaucoup de ses amis et de ses enfants, car Coral est très fusionnelle et ne partage pas vraiment les ions de son nouvel amant. Ainsi c’est d’abord Barrett qui rencontre Coral, et sa femme Rini et lui réalisent très vite qu’ils vont avoir du mal à s’entendre, après une excursion sur in site archéologique du Nouveau-Mexique au cours de laquelle Coral ne cesse de se plaindre tandis que Vincent reste silencieux. En 1974, le divorce est prononcé et Vincent et Coral cherchent à s’installer ensemble en Californie. La maison de Nicholas Beach aurait convenu à Vincent, mais Coral ne e pas l’humidité et veut vivre en ville. Leur désaccord est réglé de fait par la saisie de la propriété par l’État de Californie (gouverné alors par un certain Ronald Reagan) qui entend rendre le littoral public et raser les villas privées. Vincent est furieux de cette décision mais ne peut pas grand-chose pour l’empêcher. Il achète donc une maison de style espagnol très semblable à celle de Benedict Canyon sur les collines de West Hollywood. Coral s’y installe définitivement à la fin de l’été et une fois cette question réglée, son prochain
agenda est de devenir la nouvelle Madame Price. Elle va pousser Vincent au mariage, elle convertie tardive mais fervente au catholicisme, notamment sous l’influence de son ami Alec Guinness. Elle ent même Vincent de faire annuler le mariage avec Mary, en utilisant pour prétexte qu’il avait été célébré au Mexique. Mary est furieuse lorsque l’avocat de Vincent vient lui proposer de signer l’annulation après vingt-quatre ans de mariage, furieuse surtout qu’il suggère de rendre leur fille Victoria illégitime ! Price n’insiste pas mais pour plaire à sa nouvelle fiancée, il ira même jusqu’à se convertir au catholicisme, lui qui a grandi dans une fervente famille protestante. Petit à petit, bon nombre de proches de Vincent tels Hank Millam et sa femme ou même sa fille Victoria finissent par s’éloigner, car le caractère possessif et la répartie acerbe de Coral ne ent pas vraiment avec tout le monde. Heureusement pour lui, Vincent est de son côté vite accepté et chéri par les amis de Coral, qui le trouvent gentil, drôle, et surtout capable de rendre réellement heureuse leur amie. Parmi eux, Joan Rivers ou Alec Guinness resteront des fidèles jusqu’au bout. Avec Mary les choses finissent par se stabiliser, et les deux parents font des efforts pour que Victoria souffre le moins possible de leur séparation. Avec le temps, et au grand désespoir de Coral, ils finiront même par se revoir régulièrement et rester des amis proches. Mary poursuit son travail d’architecte et décoratrice et se construit une superbe carrière dans le design d’immeubles et de demeures dans tous les États-Unis.
XIII L’automne en pente douce
Alors que les années 1970 sont déjà bien avancées, les opportunités de travail pour Vincent se font plus rares et baissent en quantité aussi bien qu’en qualité. Il tourne tout de même Madhouse, son dernier film avec AIP et pas le pire, au printemps 1974. Il y retrouve Peter Cushing, ainsi que son « ennemi juré » le jeune Robert Quarry. Dans ce film, ce sont de façon intéressante les deux célèbres vilains Peter Cushing et Vincent Price qui sont les véritables gentils, poursuivis par les machinations de leurs proches. Il tourne, toujours à Londres, un nanar lui-même suite d’un nanar, Percy’s Progress, sur la première greffe de pénis… qui ne sortira que plusieurs années plus tard aux États-Unis. Plus intéressé par le séjour tout frais payé en Italie avec Coral que pour la qualité du film, il tourne enfin Journey Into Fear, un mauvais film réalisé par le néanmoins talentueux Daniel Mann. C’est ensuite un creux de cinq ans sans tournage qui attend Vincent, qui a finalement décidé de ref les films trop médiocres. Sans doute Coral n’est-elle pas étrangère à ce sursaut d’orgueil qu’il n’avait jamais montré, et qui le pousse à revenir vers la noblesse du théâtre. En 1975, ils montent ensemble au Queen’s Theatre, un grand théâtre du West End londonien, Ardèle, une pièce de Jean Anouilh, que Coral ire et duquel elle a déjà joué plusieurs pièces. Vincent y voit enfin l’opportunité de faire partie de ce monde du « grand » théâtre, lui qui, s’il a joué dans une cinquantaine de pièces au cours de sa carrière, n’a jamais foulé que les planches de théâtres de province. Malheureusement, l’expérience est cruelle pour Vincent, qui à soixante-quatre ans, n’est pas convaincant et peine dans les grandes tirades qu’il doit déclamer. Coral quant à elle est toujours très bonne, forte de sa grande expérience au théâtre et n’ayant jamais vraiment quitté la scène. La pièce fait un flop, pas uniquement à cause de la prestation de Vincent, mais il en sort très déçu. Il commence aussi à souffrir de différents problèmes de santé, vertiges et maux d’estomac, et surtout des trous de mémoire qui l’horrifient plus que tout. L’examen de ces maux d’estomac révèle un cancer et il doit se faire retirer une tumeur, qui heureusement est bénigne et très localisée. L’été 1975 est donc particulièrement difficile pour l’acteur, même si au final il sympathise et s’intègre bien avec le gratin des comédiens et metteurs en scène londoniens. Pour Coral, le rêve de briller à Hollywood est vite oublié, car peu de places sont
disponibles pour les actrices anglaises de plus de soixante ans, surtout si elles n’ont pas déjà marqué les esprits dans le é. À Los Angeles, elle va se faire sa place comme chroniqueuse mondaine et hôtesse réputée, tandis que les Price fréquentent à nouveau le tout-Hollywood et délaissent désormais les fourneaux pour profiter de la dolce vita avec la jet-set de l’époque. Vincent peut s’adonner à sa ion de la cuisine en tant qu’invité récurrent du talk-show Dinah !, où il prépare des petits plats avec l’animatrice et les invités. Joan Rivers et son mari Edgar Rosenberg deviennent les plus proches amis du couple, avec qui ils partagent dîners au restaurant ou en-cas dans la cuisine. Rosenberg l’anglais s’entend à merveille avec Vincent, tandis que Joan Rivers et Coral Browne sont plus pétulantes que jamais. Coral ne cesse de pousser Vincent à remonter sur scène, et ils auront encore une occasion de jouer ensemble dans une pièce un peu plus réussie. Il s’agit de Charley’s Aunt, mise en scène par Roddy Mac Dowall. Vincent y montre toujours une volonté de bien faire qui compense ses lacunes et oublis, même si une chute suite à un saut sur scène lui rend la suite de la tournée particulièrement douloureuse… Ils collaborent ensuite dans une série sur des voyageurs temporels, Time Express, pour laquelle ils sont épargnés de trop vives critiques mais qui ne durera qu’une saison. L’idée suivante de Coral va s’avérer beaucoup plus réussie : Vincent va jouer un one-man-show mettant en scène Oscar Wilde dans une fiction autobiographique. Vincent y délivre selon beaucoup l’une de ses plus belles performances et le public, dont de nombreux fans de Vincent qui veulent le voir jouer en chair et en os, est au rendez-vous. Après San Francisco, le show part en tournée à Chicago, Washington DC, puis New York. Il est prolongé à chaque fois, sauf à Broadway, où un Vincent semble-t-il terrorisé de ses échecs és ici délivre la pire prestation de la série. Les producteurs, et surtout Coral, décident alors de remonter le moral de Vincent en retournant à San Francisco pour la fin de la tournée. Le show est à nouveau un succès, et Vincent réalise qu’il est un vrai comédien de légende, même si la critique newyorkaise ne l’aura jamais clairement suivi. La fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingts restent donc plutôt productives pour le couple de seniors hyperactifs. Vincent est reconnu par tous, adulé par beaucoup, et continue à faire quelques apparitions et à prêter sa voix au cinéma. Il fait une apparition dans Scavenge Hunt, où il lance l’intrigue d’une chasse au trésor dont le prix est une propriété d’une valeur de deux cents millions de dollars. En 1980, il retourne vers le film d’horreur, pour The Monster Club dans lequel il joue un vampire pour la première fois de sa carrière ! Il fait
ajouter dans le script que son personnage possède des canines rétractables car ne e pas de parler avec son dentier à crocs ! Le film est une sorte de comédie à sketchs sans prétention, et les producteurs avaient tout d’abord espéré pouvoir avoir Christopher Lee et Peter Cushing pour ajouter au prestige du film mais ce ne fut finalement pas le cas. En revanche, Vincent retrouve Lee, Cushing ainsi que John Carradine pour The House of Long Shadows. Cette production anglaise réalisée par Pete Walker sort en juin 1983. Oscillant entre sérieux et comédie sans jamais savoir où se placer, le film voit la fratrie Grisbane décimée par leur frère qu’ils tiennent injustement enfermé dans une chambre du manoir familial depuis quarante ans ! Le plaisir de voir ces comédiens mythiques réunis l’emporte sur le manque d’épaisseur du scénario, qui n’est pas sauvé par un retournement de situation final amusant. Même si le film ne vaut pas grandchose, il illustre bien ce qui attirait ces comédiens raffinés dans d’obscures productions : se retrouver entre camarades pour le plaisir de jouer ensemble et de donner leur meilleur, loin des grosses productions impersonnelles où les acteurs se croisent, n’ont rien à inventer et se contentent suivre le script à la ligne. Christopher Lee—qui a l’air d’un jeunot à côté des grands anciens dans The House of Long Shadows ! — revendiquait même une fierté à faire ces films et à côtoyer des personnages comme Vincent. Celui-ci se retrouve ensuite au générique d’une autre comédie potache, Bloodbath at The House of Death, tourné en Angleterre en 1983, puis d’une anthologie de sketchs fantastiques, The Offspring, où Vincent en bibliothécaire municipal raconte les pires histoires de la ville maudite d’Oldfield. Comment finit son personnage ? Il n’y a guère de doute à avoir là-dessus ! Vincent participe aussi plusieurs fois à des albums de musique, de hard rock essentiellement, comme sur l’album Welcome to My Nightmare d’Alice Cooper, et en 1983, il déclame des vers d’une voix sépulcrale dans Thriller de Michael Jackson. Vu le triomphe absolu de l’album, cette prestation aurait pu mettre Vincent définitivement à l’abri financièrement, mais malheureusement le contrat qu’il a signé le prive de royalties. Il s’en veut beaucoup et malgré d’âpres négociations il n’obtiendra aucune compensation. Tout ce qu’il reçoit ce sont des disques d’or qu’un employé de Jackson vient lui apporter un jour à son domicile, et qui laissent Vincent estomaqué par tant de mépris. Il ne portera guère Michael Jackson dans son cœur à partir de ce moment… À l’écran, si sa santé et en particulier ses problèmes de genoux ne lui permettent plus guère d’apparaître en personne, Vincent continue à prêter sa voix dans différentes productions cinéma et télévisuelles, notamment dans le rôle de
l’infâme Professeur Rattigan de Basil the Great Mouse Detective, sorti en 1986. Même dans les dessins animés, il reste toujours le vilain ultime, et n’échappe pas à un rôle dans Scooby Doo sous les traits de Vincent Van Ghoul. Celui-ci, calqué sur les personnages de Vincent Price, est plutôt pince-sans-rire et finit par s’allier aux héros pour une dizaine d’épisodes ! Au cours des années quatre-vingts, Vincent est aussi l’hôte d’une série de productions policières anglaises diffusées à la télévision américaine sous la titre Mystery !, pour lesquelles il fait une introduction et un mot de la fin, mettant en avant sa réputation de maître du mystère tout autant que son charme et son érudition. Il présente ce show avec plaisir pendant huit ans. Coral n’est pas en reste, car si elle a dû à nouveau battre un cancer, elle rencontre un succès tardif dans différentes productions au cinéma. Tout d’abord dans An Englishman Abroad en 1983, dont elle suit le tournage tout en étant malade, puis en 1985 dans Dreamchild, qui rencontre un grand succès public et critique. Ce film anglais dépeint la vie d’Alice Liddell, la petite fille qui inspira le personnage d’Alice à Lewis Carroll, alors que celle-ci est maintenant une femme âgée et que son esprit est hanté par différentes créatures du conte. Le film est nominé et remporte plusieurs récompenses dont le prix BAFTA pour les meilleurs effets spéciaux. Coral Brown reçoit un Evening Standard British Film Award et beaucoup voient là son meilleur film et son jeu le plus subtil et juste. Elle tire beaucoup de joie et de fierté d’avoir finalement percé au cinéma, alors qu’elle avait été snobée par Hollywood pendant longtemps. Pour Vincent, le dernier beau rôle sera celui d’un gentleman russe dans The Whales of August, qui rassemble avec lui les vétéranes Lillian Gish et Bette Davis. Le tournage est difficile car il se déroule sur une île au climat froid et pluvieux et la production a du mal à démarrer, mais finalement le résultat est de qualité et le film sort en 1987. L’éternelle star Bette Davis et son mauvais caractère donnent pas mal de fil à retordre à l’équipe, sauf au charmant Vincent avec qui elle a déjà travaillé dans Elisabeth and Essex presque cinquante ans plus tôt ! Vincent tourne encore deux films assez mauvais les années suivantes, Backtrack et The Heart of Justice, qu’il accepte pour le plaisir de tourner sous la direction d’un vieil ami devenu immensément célèbre, Dennis Hopper. Hopper est toujours resté en avec Vincent depuis ses débuts dans les années cinquante et le temps des vaches maigres, et il lui est resté reconnaissant de lui avoir beaucoup appris sur l’art et encouragé dans la photographie.
XIV Les adieux
Inexorablement, les soucis de santé du couple vont continuer à s’accumuler au cours des années quatre-vingt. Coral se laisse convaincre par un médecin douteux d’opérer une tumeur sans doute bénigne à sa jambe et se voit diminuée physiquement et surtout dans son image, elle qui restait une très belle femme. Le couple doit donc déménager car Coral a des difficultés à utiliser les escaliers. Ils emménagent sur Swallow Drive, dans une charmante maison de plain-pied. La vue est toujours aussi jolie, voire plus belle qu’à Miller Drive, mais la maison est plus petite et c’en est fini du grand jardin et de la piscine. Le ton est maintenant de toute façon plus à la tranquillité qu’aux grandes réceptions, et le couple s’installe avec leurs petits chiens dans cette nouvelle demeure. C’est dans son petit jardin que Price y donnera une interview en 1986 pour l’émission Cinéma, cinémas d’Antenne 2. Vincent et Coral s’impliquent aussi davantage comme soutiens de prestige de la communauté homosexuelle de San Francisco, dans cette époque difficile où le sida fait des ravages. Coral est une icône gay depuis son film Aunt Mamie, et Vincent prononce des discours pleins de son bon sens communicatif sur la tolérance qui battent en brèche les fausses idées sur la transmission du VIH. Évidemment, tout cela n’est pas sans raviver les rumeurs plus ou moins fondées sur leurs sexualités, ragots qui ont poursuivi les deux comédiens toute leur vie. Pour ce qui est certain, Coral a eu une liaison avec une femme quand elle était jeune actrice, et elle a ensuite épousé un homosexuel notoire. Pour Vincent, certains trouvaient ses airs maniérés à l’écran comme autant d’indices d’une homosexualité cachée ! Même si ces soupçons sont ridicules, Vincent a pendant toute sa vie lui-même questionné sa sexualité. Il riait de bon cœur des piques que Coral pouvait lui lancer à ce sujet en société, mais l’époque fit que s’il fut réellement bisexuel, on ne le sut jamais officiellement. Il le laissa entendre à sa fille Victoria lors d’une discussion à la fin de sa vie, mais elle-même ne sut dire si la frustration qu’il ressentait était celle d’avoir dû vivre une partie de sa vie secrètement, ou au contraire de n’avoir même pas pu luimême ettre ses préférences. Depuis un moment déjà, les angoisses prennent le dessus sur le moral de Coral, même si elle le cache toujours très bien derrière ses manières outrancières. Obsédée par sa santé, elle accumule les ages sur la table d’opération, pour traiter son cancer mais aussi pour des opérations de chirurgie esthétique
auxquelles elle contraint aussi Vincent. Sa grande jalousie ne s’arrange pas non plus. Quand elle reçoit un appel pour Vincent, elle ne se gêne pas pour être extrêmement froide voire désobligeante et beaucoup d’amis de l’époque de son second mariage n’ont jamais recroisé Vincent une fois marié à Coral. S’il était heureux car amoureux, il a aussi définitivement beaucoup sacrifié pour Coral. Le comédien est de son côté diminué physiquement, avec des problèmes d’arthrite aux genoux depuis longtemps déjà, puis de thyroïde qu’on lui retire, et enfin un diagnostic de maladie de Parkinson. Le couple décide alors d’embaucher une personne pour s’occuper d’eux et prendre soin de leurs affaires, en particulier des papiers et mémoires de Vincent. Reggie Williams, un anglais que Coral a rencontré sur le tournage de Dreamchild, accepte le poste. En 1982, Vincent avait été le sujet du court-métrage Vincent de Tim Burton qui lui voue une véritable ion, et c’est tout naturellement que le réalisateur lui demande de jouer le petit rôle de l’inventeur d’Edward aux mains d’argent dans Edward Scissorhands qui sort en 1990. Vincent y apparaît très fragile, mais ses nouveaux médicaments lui donnent assez de force pour accomplir cette dernière pirouette. Juste après, Coral tombe gravement malade et doit être hospitalisée. Le couple e les fêtes de Noël 1990 ensemble chez eux, mais Coral doit fréquemment s’aliter et utiliser un respirateur. Le 29 mai 1991, Coral s’éteint chez eux, alors que Vincent est en tournage d’un documentaire sur sa vie avec Tim Burton à la Vincent Price Gallery d’East Los Angeles. Ce n’est malheureusement qu’à partir de ce moment qu’il commence à revoir sa famille et peut discuter à cœur ouvert avec sa fille Victoria, qui avait été effacée du tableau par Coral. C’est Victoria qui va prendre soin de lui pendant les trois dernières années de sa vie, qu’il va er à trier ses collections, documents, photos et cartes pour, sans s’en cacher, préparer son départ. Il revoit aussi beaucoup ses vieux amis, ceux que Coral avait acceptés et les autres comme Dennis Hopper. De nouveaux amis aussi, comme Tim Burton, Johnny Depp, Winona Ryder et Michael Feinstein lui rendent visite. Son fils Barrett et sa femme Rini reviennent également régulièrement à Los Angeles pour lui tenir compagnie. Victoria, qui réside à L.A. depuis quelques années, travaille avec lui sur ses mémoires, qui aboutiront à la définitive Daughter’s Biography, ainsi que sur différents projets de livres d’art. Vincent reste vif d’esprit jusqu’à la fin, même s’il e de plus en plus de temps alité. Enfin, il s’éteint chez lui le 18 octobre 1993, et les journaux ne désemplissent pas d’hommages. Les différentes fondations auxquelles il a participé, de même que la ville de Saint-Louis, organisent régulièrement des expositions et anniversaires qui contribuent encore aujourd’hui à honorer sa mémoire. Heureusement pour nous, on peut encore
trouver quasiment tous les films de Vincent Price sur un ou l’autre et célébrer chez soi le raffinement et l’humour du grand maître de l’horreur. Il est toujours là avec son sourire charmeur et sa voix suave qui nous invitent à le suivre et nous guident dans sa balade à travers le vingtième siècle hollywoodien.
Bibliographie
Par Vincent Price :
The Holy Bible, illustrated from the Works of Michaelangelo Buonarroti 1475-1564 (Conceived by Vincent Price Expressly for Sears, Roebuck and Co, Ltd) — 1959, Thomas Nelson & Sons. ASIN: B0069RU1ZW.
I Like What I Know: A Visual Autobiography — Vincent Price — 2016 (Nouvelle édition), Open Road Distribution. ISBN-10: 1504042166. Edition originale : 1959.
The Book of Joe: About a Dog and His Man — Vincent Price, Leo Hershfield (Illustrations), Victoria Price (Préface), Bill Hader (Introduction) — 2016 (Nouvelle édition augmentée), Open Road Media. ISBN-10: 1504030400. Edition originale : 1961.
A Treasury of Great Recipes, 50th Anniversary Edition: Famous Specialties of the World's Foremost Restaurants Adapted for the American Kitchen — Vincent Price, Mary Price, Victoria Price (Préface), Wolfgang Puck (avantpropos) — 2015 (Nouvelle édition augmentée), Dover Publications. ISBN10: 1606600729. Edition originale: 1965.
Mary and Vincent Price's Come into the Kitchen Cook Book — Mary Price, Vincent Price, Darra Goldstein (Introduction), Victoria Price (Préface) — 2016 (Nouvelle édition augmentée), Calla Editions. ISBN-10: 1606600974. Edition originale: 1969.
The Vincent Price treasury of American art — Vincent Price — 1972, Country Beautiful Corp. ISBN-10: 0872940314.
Ressources bibliographiques :
The Complete Films of Vincent Price — Lucy Chase Williams — 2000, Citadel. ISBN-10: 0806516003.
Vincent Price: A Daughter's Biography — Victoria Price — 1999, St Martins. ISBN-10: 0312242735.
A movie star made off with an Alaskan totem pole. Would it ever return home? — Paige Williams — dans the New-Yorker, 13 avril 2015.
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